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Reformuler

© Le CentQuatre

Carte blanche Alice Diop, au CentQuatre-Paris, dans le cadre du Festival d’Automne.

Menu chargé au CentQuatre, qui a confié pendant trois jours les clés de la maison à Alice Diop. Écrivaine et réalisatrice de documentaires de création depuis plus d’une quinzaine d’années, l’artiste a souvent été primée. Son dernier film documentaire, sorte de polyptyque sociologique et politique intitulé Nous l’a notamment été à la Berlinade 2021 dans la section Encounters et son premier long métrage de fiction, Saint Omer, a obtenu le Lion d’Argent et le Lion d’Or du futur à la Mostra de Venise 2022, ainsi que le César du meilleur premier film et celui du scénario original, en 2023.

Au point de départ, saisie par une photographie de Zanele Muholi représentant une femme noire qui se scrute dans un miroir, Alice Diop pose des mots sur son propre cheminement intime et politique. Cette Carte blanche s’articule autour de ses questionnements existentiels et artistiques en tant que femme et en tant que femme noire française, à savoir ce va-et-vient entre ses identités. Ce temps de réflexion s’est construit par étapes, commente Alice Diop dans le dossier de presse : d’une part il s’est appuyé sur la traversée de l’Afrique qu’a fait Michel Leiris aux côtés de l’ethnologue Marcel Griaule pendant presque deux ans, Dakar-Djibouti et que Leiris relate dans L’Afrique fantôme, son œuvre emblématique ; d’autre part dans la mise en chantier de l’écriture d’une pièce de théâtre qui n’a pas encore abouti. La maturation d’un projet reste souvent pour Alice Diop, longue et complexe, ajoute-t-elle : « J’emprunte très souvent des détours avant d’arriver à le faire. »

© Le CentQuatre

Quand le Festival d’Automne lui propose une Carte blanche, Alice Diop fait le point de ses urgences et de ses envies, et décide de se confronter aux récits d’autres femmes noires, faisant le constat de l’héritage de la violence issue de la colonisation, des rapport complexes à la sexualité, l’amour, la maternité, de la réalité de la vie. C’est une assemblée de femmes qu’elle convoque autour de leur singularité et de leur créativité.

La proposition fut riche : les journées ont débuté par une lecture d’extraits de textes intitulée Page blanche, faite par Seynabou Sonko, Guslagie Malanda, Kiyémis, Diaty Diallo et Alice Diop, suivie d’une conversation entre Alice Diop et Miriam Bridenne, directrice adjointe de la librairie Albertine à New York, qui promeut la littérature française aux États-Unis, la vitalité et la diversité des littératures contemporaines. Au fil des trois jours de programmation se sont croisés de nombreux imaginaires et pratiques artistiques : entre autres les univers de Casey, rappeuse qui cisèle les mots et l’espace, de son corps face à Lisette Lombé, slameuse aux multiples pratiques poétiques, scéniques, plastiques, pédagogiques et militantes, au cours d’un spoken word/littéralement mot parlé. Bintou Dembélé a dansé Rite de passage/ solo II, sur le thème du marronnage – la fuite des esclaves africains loin des maîtres qui les maintenaient en captivité. L’écrivaine Hélène Frappat présentait une installation visuelle et sonore : Est-ce que je peux pleurer pour toi ? à partir de photos retrouvées de Verena Paravel, anthropologue et cinéaste.

© Le CentQuatre

Plusieurs concerts furent proposés dont un de Mélissa Laveaux, un autre de Maré Mananga, intitulé La performance d’automne et un du collectif de free jazz, Irreversible Entanglements, musiciens de Philadelphie, New York et Washington DC, qui ont donné le meilleur de leurs compositions. Un court métrage a été projeté, Conspiracy de Simone Leigh et Madeleine Hunt-Ehrlich, montrant les figurines en argile, ces centaines de petites servantes embarquées comme des suppliantes, signées de la sculptrice Simone Leigh dans sa recherche de la beauté et qui, au final, brûle au bord de l’eau en temps réel l’une de ses figures majeures une sculpture femme à taille humaine, revêtue d’un pagne. Un second court métrage, signé Sarah Maldoror, inspiré de la pièce d’Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, était programmé.

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La lecture d’un court texte en prose intitulé Le voyage de la Vénus noire, issu de l’épilogue du recueil de poésies Voyage of the Sable Venus and Other Poems de Robin Coste Lewis – Prix Pulitzer – lecture faite par Kayije Kagame et mise en espace par Alice Diop fut un magnifique moment de partage autour d’une relecture radicale de l’histoire de l’art : une femme sillonne la nuit, en rêve, les musées du monde. Elle part à la recherche des corps fragmentés de toutes ces femmes noires qui peuplent la marge des tableaux depuis la Renaissance. Elle les invite à voyager à travers le temps, sur un vaisseau qui a pour capitaine la Vénus noire. Le texte commence avec la représentation d’Olympia le tableau d’Édouard Manet, au scandale retentissant, puis à une interrogation sur le pied d’une jeune femme noire, taillé dans une table : pourquoi ? toutes les postures de la sculpture et de la peinture « grouillant des arts décoratifs de femmes noires », la référence au tableau de Botticelli, La Naissance de Vénus au XVème siècle et la réflexion autour de L’Origine du monde de Gustave Courbet.

La manière dont on nomme les images, les codes, textuel et visuel, les tableaux sans signature, anonymes, pour femmes anonymes, la puissance rédemptrice du silence, les vierges noires à l’enfant vues sur tous les continents, de la Palestine au Vietnam, de la Pologne au Mexique, l’esclave en fuite en quête d’un refuge et dont le corps est brisé, sont autant de métaphores et d’énonciations données. « J’étais le corps brisé qui n’allait ni débarquer ni revenir. »

La traversée proposée par Alice Diop à travers sa Carte blanche intitulée Reformuler, terrain de réflexion s’il en est, a permis la rencontre, la confrontation entre sensibilités artistique et culturelle venant d’horizons différents. Son esprit d’expérimentation participe d’une mise en commun pour penser un monde où chacune a droit de cité, chacune sait s’autodéterminer et se réinventer. « J’ai l’impression qu’au-delà de ma propre histoire, c’est une chose si partagée par nombre de femmes noires que ces questions en deviennent politiques » a conclu Alice Diop au cours de ce temps fort proposé au CentQuatre, une initiative sensible et attentive.

Brigitte Rémer, le 30 décembre 2023

Du ven. 10 au dim. 12 novembre 2023, au CentQuatre-Paris, 5 Rue Curial, 75019 Paris – métro : Riquet, Crimée – tél. : 01 53 35 50 00 – site : www.104.fr et Festival d’Automne : www. festival-automne.com – tél. : 01 53 45 17 17

Carte blanche Alice Diop, production Festival d’Automne à Paris en coréalisation avec le CentQuatre-Paris. Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès.

Jean Genet et la Palestine

Colloque dans le cadre du cycle Ce que la Palestine apporte au monde, le 18 novembre 2023, à l’Institut du Monde Arabe – avec le concours de l’IMEC/Institut des Mémoires de l’édition contemporaine, directeur littéraire Albert Dichy.

Jean Genet © MNAMCP, Marc Trivier / Nabil Boutros.

C’est un premier colloque international portant sur la relation singulière qu’a nouée Jean Genet (1910-1986) avec le peuple palestinien. L’échange, s’est inscrit au cours d’une journée de réflexion proposée dans le cadre du cycle Ce que la Palestine apporte au monde, comme prolongement à l’exposition éponyme – dont nous avons rendu compte dans ubiquité-cultures.fr, par un article du 30 juin 2023. Elle interroge avec acuité les différents sens que contient l’expression être chez soi, à partir de la parole d’un écrivain au parcours chaotique, sans famille ni patrie, qui aimait à se présenter comme vagabond, se sentant proche, par son errance, des Palestiniens, L’autre point commun rapprochant Genet du peuple palestinien est le rapport à la mort, une mort toujours proche.

Universitaires, écrivains, historiens, artistes, témoins et proches de Genet participaient à l’événement. Ils ont évoqué l’étonnant parcours biographique d’un auteur qui a passé du temps dans les camps palestiniens au Liban, et le témoignage bouleversant qu’il en a donné au lendemain des massacres de Sabra et Chatila en janvier 1983. Dans son œuvre ultime, Un captif amoureux paru au lendemain de sa mort, il échange ses derniers souvenirs de Palestine, sublimant sa colère et ciselant les mots. « L’impassibilté de la langue… » dit Samuel Beckett parlant de Quatre heures à Chatila.

La journée s’est ouverte par un mot d’accueil de Jack Lang, Président de l’Institut du Monde Arabe et de Leila Shahid, ancienne déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France et ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, qui fut une amie proche de Jean Genet. « Je ne me suis jamais cru Palestinien, cependant j’étais chez moi » écrit Jean Genêt dans l’une de ses notes inédites figurant dans Les Valises de Jean Genêt au cœur de l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde.

La première séquence de la journée – intitulée Politique du témoin – s’est déroulée en trois temps, sous la modération d’Albert Dichy (1): Elias Sanbar, historien et écrivain, ancien ambassadeur de la Palestine à l’Unesco et rédacteur en chef de la Revue d’études palestiniennes, commissaire général de l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde, a présenté sa réflexion autour de Jean Genet en un pays hors-les-murs ; Sandra Barrère (2), chercheuse associée à l’équipe Plurielles de l’Université Bordeaux-Montaigne, a pris la parole sur le thème Jean Genet à Chatila, un témoin particulier ; Manuel Carcassonne (3), directeur général des Éditions Stock, journaliste, critique et écrivain s’est exprimé sur le thème Jean Genet : l’ultime retour Cendres et renaissance.

Leila Shahid et Albert Dichy – © brigitte rémer

La seconde séquence de la journée, modérée par Sandra Barrère sous le titre Entre fiction et Histoire, a permis la projection de deux brefs extraits de Morts pour la Palestine, film inédit du réalisateur syrien Mamoun Al-Bunni tourné en 1974. Jean Genet avait accompagné la création du film, qui comprend une de ses interventions, un fait suffisamment rare. Le film est présenté par Marguerite Vappereau, maître de conférence en études cinématographiques à l’université Bordeaux-Montaigne, auteure d’une thèse sur Jean Genet et le cinéma. Elle rapporte les mots d’Edward Saïd : « L’engagement de Genet échappe aux clichés. L’orientalisme est mis en pièces ». Dans cette seconde séquence, Patrice Bougon, président de la Société des amis et lecteurs de Jean Genet, ancien maitre de conférences à l’université japonaise d’Iwate et professeur contractuel à Paris-Denis Diderot a évoqué Jean Genet et les Palestiniens : amitié et écriture de l’histoire et transmis de nombreuses références. C’est sous l’angle de l’écrivain qu’il présente Genet, évoque Jacques Derrida et Michel de Certeau, pour parler de l’amitié de Genet avec les Palestiniens d’une part, mettant en relief son écriture de l’Histoire et son engagement d’autre part, invitant à s’interroger sur le sens des mots. Le Captif amoureux débute par « La page qui fut d’abord blanche… »  Genet est autodidacte mais fut un immense lecteur et c’est en comparant qu’il définit son rapport au monde et à l’Histoire. Il fut soldat à Damas à l’âge de dix-neuf ans, et livre quelques traces de cette période dans Le Captif amoureux. Sur Sabra et Chatila, il présente aussi des données historiques vérifiées par ses amis  et problématise. Poète quand il écrit pour le théâtre ainsi que dans ses récits, il fait des digressions qui déplacent le sens, Edward Saïd citant Adorno reprend : « Écrire devient un lieu pour vivre, pour qui n’a plus de patrie. »

© Brigitte Rémer

Elias Sanbar a ensuite pris la parole autour de deux thèmes, celui de la trahison à travers le regard de Genet sur Freud – dont il ne gardait que L’Homme Moïse, son dernier texte, parlant des religions monothéistes – car pour Genet, le psychanalyste avait trahi sa tribu, d’où son regard sur lui. Le second thème évoqué par l’historien et écrivain, ancien ambassadeur de la Palestine à l’Unesco, est celui de la solitude : pour lui, Genet est l’homme le plus solitaire qu’il ait jamais rencontré. Il était à la fois ce cavalier seul et quelqu’un de totalement impliqué là où il était, avec un fort sentiment d’affectivité. Il en rapporte pour exemple ce café où il se plaisait à aller à Paris, La Closerie des Lilas, située à deux pas de la clinique où il était né, racontant ainsi quelque chose de sa propre histoire, dans une sorte de dévoilement. Sa mère l’avait en effet abandonné à l’âge de sept mois, au dépôt de l’avenue Denfert Rochereau, abandon qui a nourri toute son œuvre. Mairéad Hanrahan (4), professeure de littérature française à University College London, a parlé de Un captif amoureux, une écriture de mousse et de lichen posant la question récurrente : À quoi sert la littérature ? et constatant qu’on en avait encore plus besoin dans les moments de tragédie. En évoquant Le Captif amoureux, texte très ouvragé, elle évoque une structure désordonnée et une grande préoccupation éthique, une vision personnelle et subjective, derrière le côté historique très présent. Elle y voit un arrière-plan composé d’arbres et de souvenirs et considère l’ouvrage comme une lettre d’amour aux Palestiniens. Elle y parle de l’eau comme source de la révolte, de la texture de l’écriture, de fissurations à l’intérieur du texte, de révolte cosmique, de chaînes de significations. Et elle conclut avec Le Journal du voleur et l’évocation du lichen, appelant le nom de Genet, comme un végétal et comme matrice fictionnelle et poétique.

© Brigitte Rémer

Au cours de la troisième séquence, modérée par Mairéad Hanrahan, Melina Balcázar (5), maîtresse de conférence à El Colegio de Mexico, a évoqué De la joie : Jean Genet en Palestine, faisant référence à la notion de mal qu’on trouve dans l’œuvre de l’écrivain, plutôt qu’à celle de la joie et de l’amour. Pour elle, nulle œuvre n’est aussi vraie que celle de Genet, sa signature étant de disparaître en même temps que d’être partout et de laisser traces. C’est dans l’écriture qu’il trouve une sorte de jubilation, comme ce fut le cas avec Les Paravents, tout en disant : « Je voudrais être presque mort tellement c’est difficile. » Et face à la mort il parle en stoïcien d’une délivrance proche. Albert Dichy, directeur littéraire de l’IMEC, a ouvert son propos sur le thème : Comment traverser la frontière, et retracé le parcours de Genet dans sa relation avec le monde arabe. À l’âge de treize ans il fut placé dans le centre de Montevrain comme apprenti-typographe, s’intéressa au cinéma égyptien dans son rapport au romanesque puis alla en Syrie à l’âge de vingt ans, pour l’armée. Il mourut au Maroc où il repose, tourné vers La Mecque. Albert Dichy parle du Captif amoureux comme d’un livre autobiographique ou d’un récit de voyage en Orient, d’un voyage à l’intérieur d’une fiction. « Le texte s’ouvre en se retirant » dit-il et il fait référence à Edward Saïd et à Pierre Loti, évoque l’image du couple mère-fils que Genet n’a pas connue, à travers l’image de la Pietà dans l’église de son enfance, dans le Morvan. Il pose la question de la domination culturelle, parle du rapport à l’image à travers Chateaubriand pour qui le paysage prime et Pierre Loti pour qui, à l’inverse « il n’y a rien à voir. » Il définit le captif comme celui qui regarde, ceux qui regardent étant en principe à l’abri des regards, alors que chez Genet c’est tout le contraire : il est vu, jugé et reconnu. Il évoque le narrateur et le reflet de soi dans l’oeil de l’autre, parle des tâtonnements quant à l’écriture du Captif amoureux pour lequel Genet a traversé trois étapes et conçu trois versions : dans la première, il restait proche de l’orientalisme, réorganisant l’ordre des paragraphes, notamment celui prévu initialement pour l’ouverture du livre qu’on retrouve à la page treize ; dans le second, il mettait sur le devant de la scène la supériorité de la femme palestinienne dans un renversement protocolaire et dessinait, par le rire, un Orient à l’envers ; dans le troisième, il posait une réflexion sur l’écriture. « La réalité se trouve entre les signes, dans les blancs de la page » note Albert Dichy qui remarque que la loi et l’ordre sont bien présents dans l’écriture de Genet, à l’inverse de son art de l’irrespect. Dans la discussion qui a suivi, Leila Shahid a témoigné qu’à la fin de sa vie, au moment où il écrit le Captif amoureux, Genet révèle une certaine humilité face à la vie.

Une table ronde a fermé cette riche journée autour de Jean Genet et la Palestine, au cours de laquelle quatre intervenants ont échangé sur la place de Genet aujourd’hui. Autour de Leila Shahid, René de Ceccatty, romancier, essayiste, dramaturge et traducteur, spécialiste aussi de Pier Paolo Pasolini, Alberto Moravia et Elsa Morante ; Hadrien Laroche, écrivain et diplomate, actuellement attaché d’action et de coopération culturelle à Toronto (6) ; Kadhim Jihad, poète, traducteur de Un captif amoureux en arabe, professeur au département d’études arabes à l’Inalco. Leila Shahid a parlé du destin cosmique de Genet et noté l’aspect prémonitoire des textes de Genet tant dans Quatre heures à Chatila que dans un Captif amoureux, dans la stratégie d’annihilation des camps de Sabra et Chatila, aujourd’hui de Gaza – nous sommes quarante et un jours après le 7 octobre 2023 – « Genet n’a jamais été autant présent qu’aujourd’hui, pourtant les milieux littéraires avaient été très critiques par rapport à son engagement » ajoute Leila Shahid. Elias Sanbar revient sur la Nakba, la Catastrophe, qui entre 1947 et 1948 avait chassé 800 000 Palestiniens de leurs terres dans le contexte de la création d’Israël, le 14 mai 1948, et du partage de la Palestine avec force destructions, pillages et massacres. « Ils se débarrassent de l’humiliation à gommer la honte » dit-il, montrant qu’avant le 7 octobre, toutes discussions s’étaient suspendues, classant l’affaire, Israël bravant tous les interdits et poursuivant sans relâche sa colonisation.

© Brigitte Rémer

Les discussions sont remontées à la source de l’attirance de Genet pour les Palestiniens, liée aux chants spirituels de la chorale de l’église du Morvan dans laquelle, enfant, Genet chantait, de la présence de Palestiniens en Égypte, de son admiration pour leur modernité, de son engagement auprès des émigrés, avec Foucault et Sartre, de sa vie de reclus, de son côté tendre et émotif qui ont alimenté son désir d’écrire. Hadrien Laroche s’est exprimé sur Genet et la politique, qui appelle l’enfance et ses humiliations, plus tard une maison palestinienne dans laquelle il se projette comme étant le fils – substitut d’un vrai fils, parti au combat. Kadhim Jihad, traducteur de Un Captif amoureux parle de la prose narrative de Genet et de l’intraduisible, parfois. Pour lui la page est un poème en soi, avec des phrases longues, comme à tiroir, il parle d’un haut langage où se côtoient la langue du XVIème siècle, le parigot et l’argot. Il évoque sa position de marginalisé spontanément attiré par les marginalisés, qui, toute sa vie, a cherché un accueil. René de Ceccatty a évoqué la rencontre qui ne s’est jamais faite entre Pasolini et Genet, dans une proximité-rivalité vraisemblables, et de la mauvaise image que nourrissaient l’un envers l’autre Moravia et Genet, de sensibilités politiques différentes.

La projection d’un bref extrait sur l’écriture de Jean Genet, entretien avec Antoine Bourseiller tourné en 1981 (7)  a été proposée et Genet dit : « J’ai été heureux dans la colonie, cette morale féodale dans les bagnes d’enfants. J’ai perdu une fraîcheur quand j’ai été payé. L’insécurité m’a donné la fraîcheur… J’ai su dès l’âge de 14/15 ans que je ne pourrai être que vagabond ou voleur. C’est à quinze ans que j’ai commencé à écrire.» Écrire c’est quand on est chassé du domaine de la parole donnée entend-on dans le commentaire du film. Des lectures d’extraits de textes de Jean Genet ont été faites par Farida Rahouadj – comédienne française d’origine algérienne qui tient le rôle de Warda dans Les Paravents, présentés au Théâtre national de Bretagne en octobre dernier dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel, programmés à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en mai 2024 : un Abécédaire Jean Genet à partir des citations affichées dans La Valise de Genet, au cœur de l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde avec entre autres les mots : vagabond, écrire, langue, Panthères noires, semblable, rêver, imposture etc. – un extrait de Quatre heures à Chatila, parlant de la beauté, « impalpable, innommable, sensuelle et si forte qu’elle veut gommer tout érotisme… » Reste à écrire un grand opéra sur la Palestine, conclut Elias Sanbar, pour que les chants palestiniens et les chœurs d’enfants résonnent d’une colline à l’autre.

 Brigitte Rémer le 27 décembre 2023

Visuel : Marc Trivier, Portrait de Jean Genet, 1985, Rabat. Don de l’artiste, collection du Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine. © MNAMCP, Marc Trivier/Nabil Boutros.

1/ – Albert Dichy, commissaire de l’exposition Les Valises de Jean Genet à l’IMA a coédité le Théâtre complet de Jean Genet dans la Pléiade (Gallimard).  2/ – Sandra Barrère : Une histoire tue : le massacre de Sabra et Chatila dans l’art et la littérature (Garnier). 3/ – Manuel Carcassonne est l’auteur du Retournement (Grasset) et prépare un ouvrage sur l’année 1982 au Liban, Jean Genet, la Palestine, le monde. (4) – Mairéad Hanrahan, Genet’s Genres of Politics (Legenda) et Lire Jean Genet, une poétique de la différence (Presses universitaires de Lyon et Montréal). 5/ – Melina Balcázar : Travailler pour les morts. Politiques de la mémoire dans l’œuvre de Genet (Presses Sorbonne nouvelle).  6/ – Hadrien Laroche, Le Dernier Genet (…), publié aux éditions du Seuil. 7/ – Film Jean Genet, entretien avec Antoine Bourseiller tourné en 1981, paru dans la collection Témoins Écrire  – Voir aussi : https://www.xn--ubiquit-cultures-hqb.fr/ce-que-la-palestine-apporte-au-monde/

Les États Généraux des Musiques du Monde

Organisés par Zone Franche, Réseau des musiques du monde auquel adhèrent environ deux cents groupes, les États Généraux se sont tenus les 19 et 20 septembre 2023, au Théâtre de l’Alliance Française, à Paris.

Franchement ! Parlons-en ! tel est le sous-titre de ces rencontres. Et, en ce moment il y a de quoi en parler, juste après l’injonction du ministère des Affaires Étrangères et Européennes concernant la suspension des visas pour trois pays de l’Afrique de l’Ouest, le Mali, le Niger et le Burkina-Faso. En jeu, la libre circulation des artistes, donc la suspension de projets en cours, une photographie des tensions géopolitiques actuelles sur lesquelles la ministre des Affaires Étrangères et Européennes a jeté de l’huile sur le feu.

L’objectif des États Généraux, dont la dernière édition remonte à 2013, est de tracer les lignes d’interventions et de solidarités entre les musiciens de différents pays et la diversité des projets, dans un but de fédérer les idées, énergies, réflexions et outils de travail, jusqu’en 2026. Dans le climat actuel autant dire qu’il y a du pain sur la planche.

La première table ronde parle justement de « La coopération culturelle (française, européenne, internationale) : entre appui et échanges réels avec les acteurs locaux, ou bien softpower et uniformisation culturelle, artistique et économique. » Le directeur du Festival Vivre Ensemble, de Tombouctou, au Mali, Salaha Maiga, n’ayant pu obtenir son visa pour rejoindre la France et les États Généraux, s’est enregistré en vidéo, nous avons pu le voir et l’entendre, autrement. Le constat qu’il fait est sévère, et ce constat sera le même au long des deux jours de ces rencontres. Il évoque un monde qui se ferme de plus en plus, entrainant l’isolement des artistes qui ne se situeraient pas dans l’exigence de l’ordre mondial. Il constate que si les talents sont partout, ces talents sont isolés. Dans un monde globalisé, la diversification des propositions s’inscrit forcément à l’échelle de la planète et devrait prendre en compte la diversité culturelle, pour que les coopérations agissent. Et s’il reconnaît qu’au fil des années écoulées il y a bien eu l’invention de leviers et d’outils de développement économique et artistique, il pose la question : comment parvenir à exercer librement son art à travers le monde entier, et par quels moyens ?

Cette première intervention résume les thèmes qui seront repris au cours de ces États Généraux. La première table ronde – modérée par Michaël Spanu, chercheur et consultant spécialisé dans les industries culturelles et créatives, a permis des interventions riches et diversifiées : Charles Houdart, de l’Agence Française de Développement a parlé de l’intégration récente à l’AFD du secteur Musiques au sein de la coopération culturelle, confortant le fait que la culture est un lien social et un facteur de cohésion. Gaëlle Massicot, responsable du Pôle Musique et Spectacle vivant à L’Institut Français a rappelé que la coopération et le dialogue des cultures constituaient l’ADN de l’Institut, et que sa mission était d’accompagner les acteurs culturels dans leurs projets internationaux. Agnès Saal, responsable de la mission Expertise Culturelle Internationale du ministère de la Culture a évoqué ce point de jonction entre la demande culturelle internationale et l’offre d’expertise, dans la définition avec le partenaire d’un projet qui lui appartient, face aux clés professionnelles qui peuvent lui être proposées. Alexandre Navarro, secrétaire général à la Commission nationale française pour l’Unesco a rappelé les deux points essentiels des objectifs Unesco, à savoir la Paix et l’Éducation, et le cahier des charges de la Commission Française : être l’interface pour la mise en œuvre des projets intervenant dans ce cadre. Il a rappelé la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et convenu que la réponse culturelle, face aux conflits du Sahel, était bien insuffisante. Marc Ambrogiani, directeur artistique du Festival Nuits Métis a mentionné la quarantaine de projets internationaux portée par sa structure et la diversité des collaborations établies, en Algérie, Guinée Conakry, Mauritanie, Maroc et dans divers pays de la Région. Sébastien Lagrave, directeur de l’association Africolor a parlé du travail de maillage accompli depuis plus d’une trentaine d’années avec les structures culturelles et artistiques du Mali et cette guerre informationnelle qui détricote localement la patiente  coopération développée avec passion, de part et d’autre.

Une autre table ronde modérée par Christine Merkel, experte en relations internationales pour les arts et les médias, avait pour thème : « Dynamique de décolonisation et retours des oeuvres : quid du patrimoine culturel immatériel et de la musique ? » Elle a exprimé la nécessité de bâtir des ponts vers une relation plus équitable et de définir une nouvelle éthique relationnelle entre pays et continents. Différentes personnalités se sont exprimées sur le sujet : Elgas, journaliste, écrivain et chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques a parlé de la précarité des artistes au Sénégal, pays sur lequel il a travaillé, convenant que sans le succès international il leur est impossible de vivre décemment, et citant en exergue nombre d’artistes et de groupes en difficulté. Alexandre Girard-Muscagorry, conservateur du patrimoine au musée de la Musique de la Cité de la musique à Paris, a rappelé que la collection non-européenne avait été développée en contexte colonial à compter de 1864, sans grand soin jusqu’à la création en 2008 de salles adaptées pour les présenter, et que l’instrument de musique était un bon butin de guerre. Amélie Salembier, manageuse d’artistes a parlé de l’expérience de plusieurs groupes d’artistes dont un groupe de musiciens kurdes venant de Syrie, et un groupe de musiciens touaregs partis du Mali et réfugiés en Algérie. Elle a évoqué les problèmes de fiscalité, l’absence d’organisme de type SACEM permettant la réversion de droits aux artistes et la possibilité de vivre de son travail.

Deux autres tables rondes étaient au programme, auxquelles nous n’avons pas assisté : « Quelle place pour les Musiques du Monde dans un monde multipolaire aux diverses tensions ? » et « Musiques et (im-)migrations : influences et confluences des migrations sur les syncrétismes musicaux, sociaux et culturels. » Enfin, compte tenu des directives touchant aux visas, émanant du ministère des Affaires Etrangères et Européennes, le désarroi s’était  invité et une conférence de presse s’est tenue en présence de Cécile Héraudeau présidente de Zone Franche et de Sébastien Laussel, directeur. Ils ont rappelé les conséquences de cette décision pour le milieu artistique, a fortiori musical et de la nécessité de maintenir les liens, envers et contre tout.

En guise de réponse à la Ministre, Zone Franche a élaboré un communiqué de presse qui a recueilli de nombreuses signatures dont les premiers mots sont : « Zone Franche et les 35 signataires du présent communiqué de presse demandent l’ouverture d’un espace de dialogue et de travail interministériel (ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ministère de la Culture et ministère de l’Intérieur et des outre-mer) avec les représentants du secteur culturel pour penser les solutions, car elles existent, afin d’assurer la libre circulation des artistes et acteurs culturels maliens, nigériens et burkinabés… »  Restons aux aguets il y va de la liberté de création, le monde artistique est solidaire.

Brigitte Rémer, le 26 septembre 2023

Zone Franche, le Réseau des Musiques du Monde, 43 Boulevard de Clichy, 75009 Paris – tél. : +33 (0)9 70 93 02 50 – email : coordination@zonefranche.com – site : www.zonefranche.com et www.auxsons.com

Mali, Niger, Burkina-Faso

Communiqué de presse reçu du SYNDEAC/Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, signé de l’ACDN/Association des centres dramatiques nationaux,  de l’ASN/Association des scènes nationales, de l’ACDN/Association des centres chorégraphiques nationaux,  le 13 septembre 2023.

Les adhérents du Syndeac, de l’ACCN, de l’A-CDCN, de l’ACDN et de l’ASN ont été nombreux ce matin à recevoir un message en provenance des DRAC/directions régionales des Affaires culturelles, rédigé sur instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Ce message au ton comminatoire demande à nos adhérents de « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso. () Tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. A compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre. »

Ce message est totalement inédit par sa forme et sa tonalité, et révélateur de ce que nous dénoncions déjà dans le travail collectif en faveur d’un plan sur la danse. Nous écrivions notamment devoir « veiller à ce que la construction d’une politique culturelle française à l’internationale, qu’il s’agisse de danse ou de tout autre art, soit revisitée à l’aune des artistes et de leurs démarches. Les logiques de rayonnement culturel au service d’enjeux diplomatiques aux antipodes des questions artistiques doivent être remises en cause et ce, jusqu’à nouvel ordre.»

Cette interdiction totale concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire. Cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes avec la Russie, aux plus anciennes et durables, avec la Chine.

Le Syndeac demande la tenue d’une réunion immédiate avec le Secrétariat général du ministère de la culture pour que les arguments des professionnels soient écoutés et que la solidarité de la France à l’égard des artistes soit affirmée avec force. Il est urgent que le ministère de la culture renonce à cette approche strictement diplomatique et défende enfin une politique culturelle et artistique. Le Syndeac est par ailleurs au travail et formulera des propositions pour transformer cette approche d’ici la fin de l’année.

Senghor et les arts – Réinventer l’universel 

Roméo Muvekannin, « Hosties noires »  © Brigitte Rémer – (1)

Exposition au musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Galerie Marc Ladreit de Lacharrière – commissaires : Mamadou Diouf, Sarah Ligner, Marc Vallet – Jusqu’au 19 novembre 2023

Grand écrivain et poète, premier Président élu de la République du Sénégal après l’Indépendance du pays le 20 août 1960 – mandat qu’il exercera pendant vingt ans avant de démissionner de ses fonctions – premier Africain élu à l’Académie Française, homme de réseau sachant cultiver le lien entre son pays et la France, défenseur de la Francophonie, Léopold Sédar Senghor est un grand humaniste.

Il débute son parcours intellectuel et politique dès les années 1930 en participant à des discussions internationales qui dénoncent le racisme, la colonisation, la ségrégation, et qui ambitionnent de faire « entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire » comme l’écrit en 1956 un autre grand poète, le Martiniquais Aimé Césaire. Avec lui et avec son épouse, Suzanne Césaire, avec d’autres intellectuels dont les Martiniquaises Jane et Paulette Nardal et avec Léon-Gontran Damas, né à Cayenne, il devient pionnier de la Négritude – qu’il définit comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture. » Senghor a incarné la voix de son Peuple et porté haut la Culture, mettant en place une politique culturelle d’envergure au Sénégal. Il plaide pour une civilisation de l’universel à partir du métissage culturel et de la lutte contre les replis identitaires et les impérialismes : « Il s’agit que tous ensemble – tous les continents, races et nations – nous construisions la Civilisation de l’Universel, où chaque civilisation différente apportera ses valeurs les plus créatrices parce que les plus complémentaires. » C’est ce parcours lié aux arts et à la culture, occupant une place centrale dans la pensée de Senghor, que montre l’exposition, sa politique et diplomatie culturelles qu’il initie au lendemain de l’indépendance et ses réalisations majeures dans le domaine des arts.

La notion d’art et de culture chez Senghor est synonyme d’échanges interculturels et de circulation des formes artistiques. Lui-même se reconnait comme quelqu’un de multiculturel : « Je songe à ces années de jeunesse, à cet âge de la division où je n’étais pas encore né, déchiré que j’étais dans ma conscience chrétienne et mon sang sérère. Mais étais-je sérère moi qui portait un nom malinké – et celui de ma mère était d’origine peule ? Maintenant je n’ai plus honte de ma diversité, je trouve ma joie et mon assurance à embrasser d’un regard catholique tous ces mondes complémentaires » écrit-il dans l’article L’Afrique s’interroge. Subir ou Choisir ? publié en 1950 dans la revue « Présence Africaine. » Il avait participé à Paris-la Sorbonne au premier Congrès des écrivains et artistes noirs, convoqué en septembre 1956 – dans un contexte de colonisation et de ségrégation raciale – à l’initiative d’Alioune Diop, fondateur en 1947 de la revue Présence Africaine. Pour la première fois, intellectuels, artistes et militants noirs de divers continents et de toutes obédiences politiques se rassemblaient. Ce rendez-vous sera suivi, trois ans plus tard, à Rome, d’une seconde édition.

Entretien avec Younousse Seye © Brigitte Rémer  – (2)

Pour démontrer la vitalité et l’excellence de la culture africaine et renforcer ces rendez-vous du donner et du recevoir, Senghor propose une première exposition d’art africain d’envergure internationale, à Dakar, intitulée Art nègre : Sources, Évolutions, Expansion, organisée en collaboration avec l’Unesco et la France, en avril 1966, au Musée dynamique de Dakar construit pour l’occasion. Cette même exposition sera présentée deux mois plus tard au Grand Palais, à Paris. Cinq cents œuvres issues de collections publiques et privées du monde entier y sont montrées, autour d’un grand colloque, de pièces de théâtre, concerts, spectacles de danse… attirant des milliers de spectateurs venus du monde entier. Pour faire connaître l’art africain au plan international. Pendant ses années à la Présidence, Senghor crée un Commissariat aux Expositions d’Art à l’Étranger et développe des partenariats dans un principe d’expositions croisées entre la France et le Sénégal, permettant d’augmenter le rayonnement culturel du Sénégal : ainsi les expositions de Marc Chagall, Pablo Picasso, Pierre Soulages, accueillies à Dakar en 1971 et 1972 et les Salons des artistes sénégalais au Musée dynamique de Dakar en 1973 et 1974, suivis de l’exposition L’Art sénégalais d’aujourd’hui au Grand Palais. À partir de 1973, Senghor entreprend de créer un vaste complexe culturel qui s’articulerait autour d’un musée conçu comme « l’une des plus importantes institutions muséographiques de l’ouest-africain. » Il en confie le projet architectural à Pedro Fez Vozquez, auteur du Musée national d’anthropologie de Mexico. Ce Musée des Civilisations Noires n’ira malheureusement pas jusqu’à son terme en raison de la démission de Senghor de la Présidence, en 1980. Dans le film Ghost Fair Trade réalisé par Laurence Bonvin et Cheikh Ndiaye, on voit Senghor rappeler ses ambitions culturelles pour le Sénégal depuis l’indépendance, et redire sa volonté de soutenir une architecture sénégalaise.

« Ghost Fair Trade » © Brigitte Rémer » – (3)

Plusieurs grands artistes illustrent l’œuvre poétique de Senghor, apportant un complément d’images, complément de rythme.  Le premier à illustrer ses poèmes, est le peintre et graveur français d’origine hongroise Émile Lahner. Il sera suivi de Marc Chagall, André Masson, Alfred Manessier, Hans Hartung, Pierre Soulages, Zao Wou-Ki, Maria Helena Vieira da Silva et Étienne Hojdu, dans le cadre de fructueux dialogues engagés avec Senghor-poète. Sont présentées dans l’exposition quelques pages des Lettres d’hivernage illustrées des lithographies originales de Marc Chagall, de Chants d’ombre, oeuvre ornée d’un dessin numéroté composé par André Masson et exécuté à la main, en empreinte, avec du sable du Sénégal, venu de Joal et M’Boro, réalisé par Bernard Duval. On y voit aussi des encres sur papier de Chérif Thiam et des références aux tableaux d’Amadou Seck, Théodore Diouf, Daouda Diouck et Amadou Sow, des esquisses de masques et statues avant sculpture de Iba N’Diaye, et ses Études de têtes de mouton et Tabaski, partie de sa recherche consacrée à la fête de Tabaski célébrée par les Musulmans à travers la prière et le sacrifice du mouton. Des entretiens vidéo avec des artistes – dont le peintre Viyé Diba, de la seconde génération de l’École de Dakar et avec Simon Njami, spécialiste de l’art contemporain et de la photographie en Afrique, critique d’art et commissaire de nombreuses expositions sur l’art africain – apportent documentation et réflexion.

Modou Niang, « L’Oiseau mystique »  © Brigitte Rémer (4)

Pendant sa Présidence, Léopold Sédar Senghor dédie plus d’un quart du budget de l’État à l’éducation, la formation, la culture et au soutien de la création contemporaine. Des institutions de formation, de création et de diffusion sont mises en place pour les arts plastiques et les arts vivants, dans des domaines aussi variés que la peinture, la tapisserie, le théâtre ou le cinéma. La Maison des Arts, créée à Dakar en 1958, et qui propose un enseignement en musique, danse, art dramatique et une section Arts Plastiques devient L’École des Arts après l’indépendance pour « puiser dans le passé et créer un art nouveau. » Senghor inaugure en juillet 1965 le Théâtre national Daniel Sorano co-financé par la France et le Sénégal, avec une salle de mille deux cents places. On voit dans l’exposition des dessins et maquettes de spectacles – dont Macbeth, mis en scène par Raymond Hermantier dans une scénographie d’Ibou Diouf. En décembre 1966 s’inaugure la Manufacture nationale de tapisserie de Thiès, située à soixante-dix kilomètres à l’est de Dakar, fruit d’échanges entre les lissiers des ateliers des Gobelins et de Beauvais et les tapissiers sénégalais. Des tapisseries comme Voy Bennël et La Semeuse d’étoiles de Papa Ibra Tall, ou encore L’oiseau mystique de Modou Niang tissée à Thiès, sont montrées dans l’exposition. On y voit les Études de têtes de mouton et Tabaski de Iba N’Diaye, partie de sa recherche consacrée à la fête de Tabaski célébrée par les Musulmans à travers la prière et le sacrifice du mouton. Senghor considérait les artistes de son pays comme des ambassadeurs, qu’ils soient acteurs, musiciens, plasticiens…  On le voit infatigable dans ce contact avec les artistes et la promotion de leurs œuvres. On le voit aussi dans sa construction de la diplomatie culturelle et les événements qu’il accompagne tout au long de sa Présidence, marquant de sa présence tous les moments d’échanges interculturels et internationaux.

Placée au haut sommet du musée du Quai Branly, dans la Galerie Marc Ladreit de Lacharrière, l’exposition Senghor et les arts. Réinventer l’universel est plus que salutaire actuellement, dans un contexte où les relations avec l’Afrique de l’Ouest se dégradent. Elle montre, en six séquences, la puissance de la volonté politique et à quel point les interactions entre pays dans le domaine des arts et de la culture peuvent être fructueuses, au-delà de l’inventaire du passé. L’exposition a été rendue possible grâce au don fait au musée du Quai Branly-Jacques Chirac en 2021 par Jean-Gérard Bosio, ancien conseiller diplomatique et culturel de Léopold Sédar Senghor, d’une partie de sa collection donnant l’accès à de nombreuses œuvres d’artistes de l’École de Dakar aux recueils illustrés des poèmes de Senghor – Lettres d’Hivernage, Chants d’ombre, Élégies majeures – des affiches d’expositions à de nombreux documents, photographies et articles de journaux rapportant les événements culturels de l’époque, à Dakar.

Dans Senghor et les arts – Réinventer l’universel, le Chef d’État et Poète est montré avec simplicité et clarté dans ce qui lui tenait à cœur et les idées qu’il défendait et qui ont parfois été vivement critiquées. L’exposition a une valeur pédagogique certaine, rappelant qu’il a définitivement marqué l’histoire intellectuelle, culturelle et politique du XXe siècle en affirmant le rôle de l’Afrique dans l’écriture de son histoire et dans son commentaire sur le monde.

Brigitte Rémer, le 3 août 2023

« Macbeth », décor Ibou Diouf © Brigitte Rémer  – (5)

Visuels – (1) : Roméo Muvekannin, Hosties noires, Bains d’élixirs et peinture acrylique sur toile libre, Galerie Cécile Fakhoury, Abidja, Dakar, Paris – (2) Entretien avec Younousse Seye, artiste plasticienne et actrice – vidéo, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Entrecom 2023 – (3) : Ghost Fair Trade réalisé par Laurence Bonvin et Cheikh Ndiaye, vidéo couleurs 2022 – (4) : Modou Niang, L’Oiseau mystique, d’après une maquette des années 1970, tapisserie tissée aux manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès, collection du Mobilier national – (5) : Ibou Diouf, Macbeth de William Shakespeare, plan du dispositif scénique, Théâtre national Daniel Sorano, saison 1968/69, décors Ibou Diouf, encre sur papier, Bibliothèque nationale de France.

Commissaires : Mamadou Diouf, professeur d’études africaines et d’histoire aux départements des Études sur le Moyen Orient, de l’Asie du Sud et de l’Afrique (MESAAS) et d’Histoire de l’Université de Columbia, New- York (États-Unis) – Sarah Ligner, responsable des collections mondialisation historique et contemporaine, musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris – Sarah Frioux-Salgas, responsable des archives et de la documentation des collections à la médiathèque, musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris – scénographie Marc Vallet – Publication d’un catalogue édité par le Musée (29,90 euros).

Jusqu’au 19 novembre 2023, du mardi au dimanche de 10h30 à 19h, le jeudi de 10h30 à 22h. Fermé le lundi – Musée du Quai Branly-Jacques Chirac/Galerie Marc Ladreit de Lacharrière, 37 quai Branly, 75007. Paris – métro : ligne 9 /Alma-Marceau ou Iéna – ligne 8 : Ecole Militaire – ligne 6 : Bir Hakeim

60 ans des Prix de la critique pour le Théâtre, la Musique et la Danse

Artbribus, Mustapha Boutadjine

Anniversaire célébré à la Philharmonie de Paris le 19 juin 2023 et  remise des Prix aux lauréats de la saison 2022-2023.

Depuis 1963, ce Palmarès, fruit d’un vote par les critiques  professionnels, salue et récompense des artistes, des  spectacles, la création de toute une saison. Cette année est l’occasion de fêter les 60 ans de cette manifestation qui a su au fil du temps s’inscrire durablement dans la vie du spectacle vivant.

THÉÂTRE
Grand Prix (meilleur spectacle théâtral de l’année)
Le Firmament, de Lucy Kirkwood, mise en scène de Chloé Dabert

Prix Georges-Lerminier (meilleur spectacle théâtral créé en province) – Le Nid de cendres, de Simon Falguières, re-création au Festival d’Avignon

Prix de la meilleure création d’une pièce en langue française – L’amour telle une cathédrale ensevelie, de G.Régis Jr

Prix du meilleur spectacle théâtral étranger – Catarina et la beauté de tuer des fascistes, de Tiago Rodrigues

Prix Laurent-Terzieff (meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé) – Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski

Prix du meilleur comédien – Gilles Privat dans En attendant Godot, de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon

Prix de la meilleure comédienne – Catherine Hiegel dans Music-hall et dans Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, de Jean-Luc Lagarce, mises en scène de Marcial Di Fonzo Bo

Prix Jean-Jacques-Lerrant (révélation théâtrale de l’année) ex aequo Bertrand de Roffignac dans Ma jeunesse exaltée, d’Olivier Py ; Marie Fortuit pour sa mise en scène d’Ombre (Eurydice parle), d’Elfriede Jelinek

Prix de la meilleure création d’éléments scéniques – David Bobée et Léa Jézéquel pour Dom Juan, de Molière

Prix spécial, Bernard Sobel © Brigitte Rémer

Prix du meilleur livre sur le théâtre – Au cœur du théâtre 1989-2022, de Jean-Marie Hordé. Éd. Les Solitaires Intempestifs

Prix du meilleur compositeur de musique de scène – Dakh Daughters pour Danse macabre, mise en scène de Vlad Troitskyi

Prix spécial – La Mort d’Empédocle (Fragments), de Johann-Christian-Friedrich Hölderlin, mise en scène de Bernard Sobel

MUSIQUE
Grand Prix (meilleur spectacle musical de l’année) ex aequo – Manru, d’Ignacy Jan Paderewski, direction musicale de Marta Gardolińska, mise en scène de Katharina Kastening ; L’Annonce faite à Marie, de Philippe Leroux, direction musicale Guillaume Bourgogne, mise en scène de Célie Pauthe

Prix Claude-Rostand (meilleure coproduction en régions et européenne) – On purge bébé, de Philippe Boesmans, direction musicale de Bassem Akiki, mise en scène de Richard Brunel. Théâtre de la Monnaie et Opéra de Lyon

Prix de la meilleure scénographie – Fabien Teigné, pour Faust, de Gounod, direction musicale de Pavel Baleff, mise en scène de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche. Opéra de Limoges

Prix de la création musicale – Concerto pour violon n°2 Scherben der Stille, d’Unsuk Chin

Prix de la personnalité musicale de l’année – Aziz Shokhakimov, chef d’orchestre, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg

Prix de la révélation musicale de l’année – Jodyline Gallavardin, pianiste

Prix du meilleur livre de l’année sur la musique – Compositrices, l’histoire oubliée de la musique, Guillaume Kosmicki. Éd. Le mot et le reste

Prix de la meilleure initiative pour la diffusion musicale (répertoires et publics) – Présences compositrices, centre de recherche et festival porté par Claire Bodin

DANSE
Grand Prix (meilleur spectacle chorégraphique de l’année) – L’envahissement de l’être (danser avec Duras), de Thomas Lebrun

Prix de la personnalité chorégraphique – Christophe Martin, directeur artistique du Festival Faits d’hiver

Prix de la meilleure interprète – Samantha van Wissen dans Giselle…, de François Gremaud

Prix de la meilleure performance – One song, de Miet Warlop

Prix du meilleur livre sur la danse – Sortir du cadre, de Marie-Agnès Gillot. Éd. Gründ

Palmarès 2022/2023 © Jean Couturier

Prix du meilleur film sur la danse – Dancing Pina, documentaire de Florian Heinzen-Ziob. Production Fontäne Film. Dulac Distribution

Prix de la révélation chorégraphique – Amalia Salle pour Affranchies. Festival Suresnes Cités Danse 2023

Prix de la meilleure compagnie – CCN-Ballet de l’Opéra national du Rhin

Prix pour l’ensemble d’une carrière – Claude Brumachon et Benjamin Lamarche

 

Sindbad-Actes Sud

1972-2022. Cinquante ans d’édition des textes arabes et sur le monde arabe – Farouk Mardam-Bey, directeur de Sindbad – à l’Institut du Monde Arabe. (© Sindbad-Actes Sud, voir en fin d’article).

Les éditions Sindbad ont été fondées en 1972 par Pierre Bernard, qui a eu le talent de lancer en France et en Europe un mouvement de traduction de la littérature arabe contemporaine. De nombreux ouvrages toutes catégories confondues, ont été publiés et mis à la disposition d’un public francophone : romans contemporains, poésie, lettres classiques du patrimoine arabe et persan, essais sur l’histoire et la culture du monde arabe et de l’Islam. Sindbad a entre autres permis de faire connaître l’œuvre de Naguib Mahfouz bien avant l’attribution de son Prix Nobel de littérature en 1988 et donné à lire les grands poètes comme l’Irakien Badr Shakir al-Sayyab et le Syrien Adonis. Acquises par Actes Sud en 1995 et dirigées par Farouk Mardam-Bey, les éditions se sont enrichies de plus de quatre cents titres dont près de trois cents traductions, avec la volonté de mettre en exergue la diversité de la production littéraire arabe.

Pour fêter ses cinquante ans, Sindbad a programmé à l’Institut du Monde Arabe le 22 octobre dernier un temps de convivialité et d’échange autour du travail accompli. Deux tables rondes se sont succédé pour marquer l’événement. La première, intitulée La tâche des traducteurs entre l’arabe et le français, modérée par Nisrine Al-Zahre, a permis d’évoquer la difficulté de rendre compte de la complexité du passage entre deux langues, de la nécessaire prise en compte du contexte évoqué par l’auteur, des couches de signification et du monde symbolique qui renvoient à des notions d’interprétation particulières. Rania Samara, traductrice bilingue et biculturelle qui a étudié la littérature française à Damas et traduit plus d’une trentaine d’ouvrages – dont Miniatures et Rituel pour une métamorphose, de Saadallah Wannous, dont les textes d’Elias Khoury et certains de Naguib Mahfouz comme Son Excellence – a notamment évoqué la difficulté du transfert de la langue parlée et qualifié « d’espace gris » la tension entre ses deux langues. Franck Mermier, directeur de recherche au CNRS, ancien directeur du Centre français d’études yéménites à Sanaa et du département scientifique des études contemporaines à l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth, a mis l’accent sur les différentes géographies de la langue arabe d’un pays à l’autre et pointé le manque de traduction dans le domaine des sciences sociales mais aussi l’étroitesse de cet espace de réflexion. Il a démontré en même temps à quel point toutes les formes d’écriture – dont les romans – rendaient compte d’un contexte politique, social, économique, anthropologique et avaient valeur de témoignages des réalités vécues, se substituant  en quelque sorte à la place des chercheurs. Les auteurs sont ainsi devenus les porte-paroles de leurs sociétés, comme l’est Alaa Al-Aswany que traduit Gilles Gauthier, pour l’Égypte. Ainsi en Syrie et au Yémen, écrire la guerre répond à la volonté de savoir et d’interpréter le réel et de lui donner un sens. Pour Marianne Babut qui, après des études de sciences politiques et d’arabe littéraire a vécu trois ans en Syrie, traduire est une activité chorale qui demande de dialoguer avec beaucoup de monde et d’explorer des sources diverses. La discussion qui s’est ensuite engagée avec la salle fut riche, tournant autour de l’exil, al manfaa/le lieu de l’oubli obligeant à la dissociation d’avec soi-même et à une double réalité, ce qu’on montre et ce qu’on est. « Maison, votre souvenir est ancré en nous… » Farouk Mardam-Bey a parlé de la force poétique des vers libres et mis l’accent sur l’absence d’un dictionnaire raisonné et critique, en arabe.

La seconde table ronde a porté sur L’état des lieux de la littérature arabe, le directeur de Sindbad en était le modérateur. Son introduction a fait le constat du peu de littérature arabe traduite et éditée dans l’espace francophone, insistant sur le fait qu’il était essentiel d’en parler. Il a rendu hommage à Pierre Bernard (1940-1995) le père fondateur des Éditions, né dans l’Aveyron,  dans une famille d’artistes, passionné de livres et formé à la typographie. Il avait découvert le monde arabe en Algérie où il avait vécu pendant un an comme appelé sous les drapeaux, ce fut pour lui une révélation. Détaché à Radio Alger, il y produisait des émissions culturelles. De retour en France il s’était mis à écrire et à peindre, à travailler dans le milieu du livre à différents niveaux, puis à diriger une collection, L’Écriture des vivants, aux éditions de L’Herne. Il s’était lancé à proposer une collection d’ouvrages d’origine arabe à plusieurs éditeurs, après un voyage au Caire en 1968 qui répondait à l’invitation du gouvernement égyptien. La capitale égyptienne était alors le cœur du monde arabe, intellectuellement et politiquement. Il y avait rencontré de nombreux auteurs dont l’immense Taha Hussein, des cinéastes, architectes, poètes et musiciens. L’éditeur Jérôme Martineau lui avait ouvert sa porte, en 1970 et permis les premières publications dont Construire avec le peuple du grand architecte Hassan Fathy et Passage des miracles de Naguib Mahfouz. Deux ans plus tard il créait l’outil qui lui permit la publication et la diffusion d’ouvrages du monde arabe, les éditions Sindbad.

Au cours de cette table ronde, Frédéric Lagrange, universitaire, spécialiste de littérature arabe et auteur de divers ouvrages dont Musiques d’Égypte, a retracé ce qui avait changé en cinquante ans de romans arabes, accompagnant les mutations du monde et des sociétés – problèmes pétroliers, changements de régime, instabilités, radicalités religieuses, terrorisme, révoltes et contre révoltes -. Une vision devenue plus tragique aujourd’hui. Frédéric Lagrange rappelle ce slogan d’il y a une cinquantaine d’années : « L’Égypte écrit, le Liban imprime et l’Irak lit. » Partant de Miroirs, de Naguib Mahfouz, un roman fondateur, premier ouvrage traduit et édité chez Sindbad, il a montré l’explosion du roman arabe depuis une dizaine d’années tout en constatant que le champ littéraire panarabe restait à construire. Subhi Hadidi, critique et traducteur a parlé des poètes et traversé cinquante ans de poésie arabe à travers notamment l’évolution des formes, poèmes en prose ou en vers libres et renouvellement de la traduction poétique. Pour lui, le temps métaphysique n’est pas le temps humain. Jumana Al Yasiri, auteure et traductrice depuis une quinzaine d’années travaille entre le monde arabe, l’Europe et les États-Unis sur des festivals, résidences de création, et programmes de soutien aux artistes et aux opérateurs culturels indépendants. Elle a évoqué la difficulté de la circulation des œuvres dans et hors le monde arabe, de la traduction en ses débuts à partir du milieu du XIXème siècle avec les pièces de Molière adaptées au contexte local, de l’absence de public pour le théâtre arabe, et de la complexité entre arabe dialectal et arabe littéral. Elle a parlé de l’impossibilité de la fiction aujourd’hui, remplacée par des textes- témoignages comme Les Monologues de Gaza du Théâtre Ashtar, sur l’opération militaire israélienne déployée dans la bande de Gaza en 2008-2009, qui avait conduit à la mort de centaines de Palestiniens, dont de nombreux enfants ; Zawaya, du Théâtre El-Warsha, cinq récits parmi d’autres, collectés après la révolution égyptienne de janvier 2011. Jumana Al Yasiri reconnaît l’action de certains réseaux comme le Young Arab Theatre Fund (YATF) qui soutient les tournées régionales, sur les lieux de diffusion que sont les festivals comme les Journées théâtrales de Carthage, le Downtown Contemporary Arts Festival (D’Caf) au Caire, les troupes et lieux qui participent de la création et de la diffusion comme Al-Balad Theater lieu de diffusion pour le théâtre, la musique et la danse à Amman (Jordanie) organisateur de plusieurs festivals chaque année, El-Warsha Théâtre au Caire dont nous rapportons fidèlement le travail, dans ce site, et le Centre culturel Jésuite d’Alexandrie.

Ces tables rondes ont été suivies de la projection du film Les Dupes du Syrien Tawfik Saleh adapté de la nouvelle Des hommes dans le soleil, de Ghassan Kanafani et d’un récital poétique avec lectures bilingue par Hala Omran (arabe) et Farida Rahouadj (français), accompagnées par l’éblouissante flûtiste Naïssam Jalal. Un magnifique tour d’horizon sur la création littéraire et ses prolongements pour lesquels Sindbad-Actes Sud est un acteur vital.

Brigitte Rémer, le 6 novembre 2022

Sindbad Actes Sud, Bertrand Py, directeur éditorial d’Actes Sud – Le Méjan, Arles – site : actes-sud.fr – Les photos de l’article ont pour source la brochure publiée par l’éditeur à l’occasion du cinquantième anniversaire de Sindbad – Photo 1 : couverture de la brochure – Photo 2 : Pierre Bernard, fondateur, devant les éditions Sinbad (Paris 18ème) autour de 1980 – Photo 3 : Farouk Mardam-Bey, Elias Sanbar et Mahmoud Darwich, Aix-en-Provence, 2003 – Photo 4 : couverture de La Danse des passions, de Edouard Al-Kharrat, publié en 1997 aux éditions Sindbad Actes Sud.

Zoo ou l’Assassin philanthrope

© Photo Jean-Louis Fernand

D’après deux textes de Vercors : Zoo, L’Assassin philanthrope et Les Animaux dénaturés, ainsi qu’à partir de textes rédigés par les scientifiques ayant contribué au projet – mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota, avec la troupe du Théâtre de la Ville, au Théâtre de la Ville/Espace Cardin.

On connaît Vercors par son engagement dans la résistance et sa révolte contre la collaboration et l’antisémitisme – il est lui-même fils d’un Hongrois d’origine juive ayant fui l’antisémitisme de son pays. Il les mettra sobrement en mots dans Le Silence de la Mer, son premier ouvrage, publié aux Éditions de minuit qu’il fonde clandestinement avec Pierre de Lescure à l’automne 1941. De son vrai nom Jean Bruller (1902-1991) Vercors est illustrateur en même temps qu’écrivain et l’humanisme imprime son œuvre. « L’humanité, nous le voyons, n’est pas un état à subir, mais une dignité à conquérir » écrivait-il.

© Photo Jean-Louis Fernandez

Zoo ou L’Assassin philanthrope met en scène le procès de Douglas Templemore, journaliste, qui, à titre expérimental, a inséminé de sa propre semence une femelle tropi, avant d’empoisonner l’enfant qui en est né. Douglas avait lui-même appelé le médecin pour en constater la mort. La mère, originaire de Nouvelle Guinée, appartenait à l’espèce des anthropoïdes – qu’on appelle tropis – et ressemblait à un singe. L’enfant avait été déclaré et même baptisé. Il est ici au centre de la scène, mi-homme mi-singe et plus vrai que nature. L’étonnement du Dr Figgins sera à la hauteur de la problématique posée et le procès qui s’en suit cherchera à déterminer s’il s’agit d’un infanticide ou du meurtre d’un animal.

La pièce tourne autour de la question à travers l’observation du mode de vie des Tropis mais personne ne saura y répondre et les deux thèses philosophiques qui s’affrontent donneront du grain à moudre aux anthropologues : qu’est-ce que l’homme ? Les hommes sont-ils des animaux dénaturés ou bien l’homme est-il un animal rebelle, comme le posait Vercors ? « Tous nos malheurs proviennent de ce que les hommes ne savent pas ce qu’ils sont et ne s’accordent pas sur ce qu’ils veulent être » écrit-il. Et il ajoute : « L’humanité ressemble à un club très fermé : ce que nous appelons humain n’est défini que par nous seuls. »

Par l’enquête judiciaire et ce procès que l’on suit, d’étape en étape, on entre de plain-pied dans l’aventure intellectuelle qui a mené Emmanuel Demarcy-Mota et la troupe du Théâtre de la Ville à une première version du spectacle, présentée au Musée d’Orsay en juillet 2021 dans le cadre de l’exposition Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXème siècle. Après Jean Mercure qui avait créé la pièce de Vercors en 1975 au Théâtre de la Ville qu’il dirigeait alors, le metteur en scène l’a inscrite dans le projet du théâtre qu’il dirige à son tour avec talent, par la rencontre entre les univers scientifique et artistique, et les recherches qu’il mène avec ses équipes sur le lien entre mémoire et présent.

© Photo Jean-Louis Fernandez

Pour Zoo ou l’Assassin philanthrope, Emmanuel Demarcy-Mota a questionné les scientifiques sur le transhumanisme et dialogué entre autres avec la neurochirurgienne Carine Karachi, l’astrophysicien Jean Audouze, la biologiste Marie-Christine Maurel, le biologiste et philosophe Georges Chapouthier. Il a articulé les textes de différentes sources et inscrit la théâtralité, en parallèle au procès, par la représentation d’animaux sous forme de masques tels que vautour, caméléon, lion, panthère noire, poisson, lynx, bouc et zèbre qui renforcent le fantastique et la fable philosophique, et qui se prolongent par le costume (masques d’Anne Leray, costumes de Fanny Brouste).

Dix comédiens de la troupe du Théâtre de la Ville, mise en place en 2008 par Emmanuel Demarcy-Mota, tiennent les différents rôles de la pièce et occupent des positions différentes dans le cadre du procès. Mathias Zakhar est un remarquable Douglas Templemore et tous les personnages, juge, avocats, ministre de la justice, médecins, paléontologues et jurés répartis sur plusieurs niveaux de praticables, renvoient le trouble dans lequel ils se trouvent. Plusieurs narrateurs transmettent le fil rouge de la pièce.

Cette interrogation sur l’origine et l’avenir de l’humanité, à travers l’homme et l’animal, fait aussi penser à George Orwell dont La Ferme des animaux fut publiée en 1945. La question scientifique philosophique et esthétique que posait Vercors en 1952, dans l’après-guerre, reste pourtant d’actualité si l’on fait référence aujourd’hui à l’homme augmenté qui en fait « est déjà là », comme le dit Jean Audouze et à l’invention de créatures hybrides. Zoo ou l’Assassin philanthrope est une invitation à réflexion sur la condition humaine par la rencontre entre deux univers complexes, le scientifique et l’artistique, et c’est très réussi.

Brigitte Rémer, le 31 octobre 2022

Avec : Marie-France Alvarez, Charles-Roger Bour, Céline Carrère, Jauris Casanova, Valérie Dashwood, Anne Duverneuil, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Ludovic Parfait Goma, Mathias Zakhar – Assistante à la mise en scène Julie Peigné – collaborateurs artistiques Christophe Lemaire, François Regnault – conseillers scientifiques Carine Karachi, neuro-chirurgienne – Jean Audouze, astrophysicien – Marie-Christine Maurel, biologiste – Georges Chapouthier, biologiste et philosophe – scénographie Yves Collet, Emmanuel Demarcy-Mota – lumières Christophe Lemaire, Yves Collet – musique Arman Méliès – costumes Fanny Brouste – son Flavien Gaudon – vidéo Renaud Rubiano – maquillages et coiffures Catherine Nicolas – masques Anne Leray – accessoires Erik Jourdil.

Du 5 au 22 octobre 2022 à 20h et le dimanche à 15h. au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, 1 avenue Gabriel. 75008. Site : theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77.

Le 150ème anniversaire du Syndicat de la critique

© Jean Couturier – Table ronde n°1

Le Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse a célébré le 17 octobre 2022 au Théâtre de la Ville-Espace Cardin son 150ème anniversaire. Tables rondes et débats sur la critique théâtre, musique et danse se sont succédé en présence de personnalités du monde de la presse, d’artistes et de responsables de lieux de diffusion.

Après les mots de bienvenue d’Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville et l’introduction de la journée par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, président du Syndicat de la critique, Jean Couturier et Antonella Poli ont donné un bref historique du Syndicat. Quatre tables rondes se sont ensuite succédées sur Le passé, le présent et l’avenir de la critique, en France et à l’étranger.

La première table-ronde, De la critique-monde, acte 1 avait pour thème le regard critique dans différents pays. Modérée par Brigitte Rémer, elle a rassemblé des critiques de Belgique, de Suisse et d’Allemagne : Sylvia Botella, dramaturge au Théâtre national Wallonie-Bruxelles, enseignante, critique dans différents champs du spectacle vivant dont théâtre, danse, opéra, cirque, arts performance ; Alexandre Demidoff, critique théâtre et danse, journaliste pour Le Temps à Genève, rubrique Culture et Société ; Eberhard Spreng, journaliste culturel indépendant, cinéaste, critique de théâtre et traducteur à Berlin et à Paris, collaborateur artistique dans des productions théâtrales, en France. Autour de la table également, deux critiques oeuvrant depuis la France : Laura Cappelle, sociologue de l’art, journaliste et chroniqueuse pour le théâtre au New York Times, critique de danse pour différents médias anglo-saxons et Victoria Okada, critique musique pour différents médias japonais et français, traductrice et interprète.

La seconde table-ronde, De la critique-monde, acte 2, modérée par Jean-Pierre Han a parlé de la place de l’Association internationale des critiques de théâtre (AICT) en présence de deux anciens présidents : Margareta Sörenson, de Suède et Georges Banu, de France-Roumanie, et en compagnie de Karim Haouadeg, chroniqueur théâtral de la revue Europe, ancien stagiaire AICT.

Animée par Mireille Davidovici et Marie-José Sirach, la troisième table ronde, Vous avez dit critique ? parlait des critiques face à eux-mêmes dans la confrontation de leurs expériences et des différentes facettes et difficultés de leur métier. Autour de la table : Armelle Héliot, critique au Quotidien du Médecin, blog Le Journal d’Armelle Heliot ; Jean-Pierre Léonardini, critique à L’Humanité auteur de Qu’ils crèvent les critiques ; Olivier Frégaville-Gratian d’Amore, président du Syndicat de la critique, rédacteur en chef de L’œil d’Olivier ; Caroline Châtelet, critique dans différents médias dont Incise, Novo, Théâtre(s), AOC média ; Marie Plantin, critique à Théâtre(s) Magazine ; Gilles Charlassier, vice-président musique du Syndicat de la critique et critique musical à La Terrasse, Anaclase et Jim le Pariser.

La quatrième table-ronde modérée par Delphine Goater et Jean-Guillaume Lebrun, a présenté Les critiques vus par les artistes et les directeurs d’institutions, en présence de Léna Bréban, metteuse en scène, autrice et actrice ; Hassane Kassi Kouyaté, directeur du Festival Zébrures d’automne, ex Francophonies en Limousin ; Chantal Loïal, interprète et chorégraphe de la compagnie Difé Kako, directrice artistique du festival Mois Kréyol ; Petter Jacobson, chorégraphe, directeur général du Ballet de Lorraine ; Alain Perroux, directeur général de l’Opéra national du Rhin.

De fructueux échanges avec la salle ont eu lieu au cours de cette journée, conviviale et de réflexion sur nos métiers. Le Théâtre de la Ville-Espace Cardin avait réservé au Syndicat de la critique théâtre, musique et danse le meilleur accueil, ce qui en a permis la réussite

Brigitte Rémer, le 21 octobre 2022

Syndicat professionnel de la critique de théâtre, de musique et de danse, au Théâtre de la Ville – Espace Cardin, 1 Av. Gabriel, 75008 Paris – Coordonnées : Hôtel de Massa, 138 rue du Faubourg Saint-Jacques. 75014 Paris – Site : associationcritiquetmd.com

Out of the blue

© Théâtre de la Ville

Par et avec Silke Huysmans et Hannes Dereere – production Campo – en anglais et néerlandais, surtitré en français, au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, dans le cadre du Festival d’Automne.

L’objet présenté est singulier. Il traite d’un sujet de société devenu une des priorités mondiales, le non-respect de l’environnement et la destruction de la planète, ici des fonds sous-marins. Peut-être s’apparente-t-il davantage à une conférence scientifique qu’à un spectacle, peu importe il est d’utilité publique. À partir de techniques journalistiques, Silke Huysmans et Hannes Dereere transposent une problématique qu’ils reconstituent artistiquement. Leurs deux précédents spectacles traitaient, le premier, du désastre minier de 2015 au Brésil, avec Mining stories, le second de l’extractivisme qui a détruit l’Île de Nauru dans le Pacifique au cours du XXème siècle, avec Pleasant Island.

Avec Out of the blue, en entrant dans la salle le spectateur fait face à huit écrans collés les uns aux autres, deux ordinateurs posés sur une grande table. Les deux acteurs-intervenants s’assiéront devant, dos au public, et gèreront l’informatique en véritables chefs d’orchestre, tapant parfois le texte sur leurs claviers in-situ et gérant la chorégraphie des images et de la musique. On ne verra leur visage qu’au salut. Ils ne sont pas le cœur du sujet, leur démarche l’est. C’est une démarche d’observation sur les forages en eaux profondes, dans le Pacifique, à l’ouest du Mexique et les risques qu’ils entraînent.

Au printemps 2021, Silke Huysmans et Hannes Dereere sont connectés par satellite depuis chez eux, la Belgique, avec trois bateaux stationnés dans l’océan Pacifique : l’un appartient à une compagnie belge d’extraction minière en train d’explorer les fonds marins abyssaux à l’aide d’un robot, l’autre accueille les scientifiques qui observent l’opération en cours, le troisième n’est autre que le navire amiral des militants de Greenpeace qui deviennent lanceurs d’alerte, le Rainbow Warrior.

Le Prologue est suivi des différentes interviews avec les scientifiques marins de ces navires et les militants de Greenpeace. Les points de vue sont contradictoires et si le monde est cartographié, seulement 10% des fonds marins le sont, remarque le commentaire. Le voyage visuel proposé dans ces fonds silencieux repose sur de remarquables images. La faune et la flore y sont pure poésie, et l’on voit des bancs de poissons délicats et gracieux s’enrouler dans le mouvement de l’eau, des poulpes du sud aux grandes ailes, fines comme des dentelles, voler sous l’eau.

Moins poétiques, les pilleurs d’océan à la recherche de cuivre, zinc, manganèse et cobalt, tous minerais nécessaires aux sociétés pour stocker l’énergie, sont aux aguets. Pourtant dès 1967 l’Ambassadeur de Malte, M. Arvid Pardo, appelait à l’instauration d’un régime international efficace du fonds des mers et des océans. Signée en 1982, la Convention des Nations-Unies sur le Droit de la Mer fut adoptée. Douze ans plus tard, en 1996, elle est entrée en vigueur et les fonds marins ont été déclarés Patrimoine mondial de l’humanité. Le temps politique est un temps si long…

Comme des capitaines à la barre, et les acteurs-observateurs-rapporteurs Silke Huysmans et Hannes Dereere le précisent bien, il ne s’agit pas ici d’un problème à traiter mais d’un cycle en mouvement, celui du vivant et de l’humain. La recherche d’une solution ne saurait être que collective. Vers la fin du spectacle ils nous font voyager vers d’autres abysses, dans le cosmos, à l’autre extrémité, entre mars et vénus. Des deux côtés on reste suspendus entre l’immensité et l’infini, dans une solitude vertigineuse, au sein d’une nature sacrée et d’un certain vague à l’âme. L’échelle de nos perceptions se décale face à un écosystème qu’on altère avant même de le connaître.

L’épilogue est peu réjouissant même si les scientifiques ont demandé un moratoire. Vingt-sept pays ont désormais un contrat de forage pour les fonds marins abyssaux dont l’Allemagne, le Japon et la Russie et la prochaine expédition est programmée à l’automne 2022. Dans Out of the blue il y a un grand écart entre le calme avec lequel se fait devant nous cette démonstration fine et feutrée d’une biodiversité en danger et le tumulte du propos. On est avenue Gabriel, à deux pas de l’Élysée, on a envie de dire : traversez la rue et montrez votre travail aux politiques qui surfent sur les vagues sans s’attaquer réellement aux problèmes d’un univers qui, à grande vitesse, se détruit et dont Silke Huysmans et Hannes Dereere font récit.

Brigitte Rémer, le 15 septembre 2022

Du 12 au 15 septembre à 20h, Théâtre de la Ville/Espace Cardin, 1 avenue Gabriel. 75008. Paris – site : www.theatredelaville-paris. tél. 01 42 74 22 77 et www.festival-automne.com

Yeondeunghoe

Exposition sur La Fête des Lanternes en Corée du Sud, au Centre Culturel Coréen de Paris.

© Centre Culturel Coréen

La Fête des Lanternes a plus de mille trois cents ans, elle est reconnue depuis 2020 comme patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. À l’origine c’était un rite religieux qui célébrait l’anniversaire de la naissance du Bouddha Shakyamuni, le 8ème jour du 4ème mois lunaire.

En Corée, c’est à partir de la période de Silla unifié – fin du VIIème au Xème siècle – que le roi se rendait au temple admirer la Fête des Lanternes et c’est sous la dynastie Goryeo (918-1392) que la Fête est devenue rituel national. C’est aujourd’hui une fête annuelle qui s’exprime dans toute la péninsule sud-coréenne dans de grands défilés et rassemblements chamarrés, regroupant des gens de toutes confessions, et les lanternes sont accrochées dans les temples.

© Centre Culturel Coréen

Acte social et puissant symbole, le pays appelle la lumière et chacun apporte sa lanterne patiemment fabriquée en famille, dans des associations ou entre jeunes. Réalisées en papier coloré hanji, ces lanternes avaient traditionnellement la forme d’un lotus, symbole du pays, elles prennent aujourd’hui toutes sortes de formes, plus inventives les unes que les autres : fruits, personnages, fleurs, oiseaux, dragons, montagne, éléphant, formes géométriques.

Pour les admirer, il suffit de monter au premier étage du Centre culturel Coréen, la salle d’exposition les présente avec beaucoup d’élégance. De toutes tailles et toutes couleurs, elles sont la vie-même. Certaines sont imposantes comme la lanterne Grande cloche bouddhique, ou celle du Tambour du Dharma ou encore la lanterne Fleur de lotus ; d’autres se portent au bout de mâts, le Deunggan, comme en attestent les gravures anciennes. Autrefois, il était de coutume d’accrocher une lanterne au bout d’une longue perche dans la cour de la maison, la manière de l’attacher était codifiée et renseignait sur le nombre de personnes qui habitait le lieu. Ces lanternes pouvaient aussi, selon leurs formes, être signe de paix ou de bien-être pour la famille et/ou pour la société. Toutes ces lanternes allumées diffusent leurs couleurs arcs-en-ciel et la parade des lanternes miniaturisée est représentée par un grand cortège de figurines de papier hanji portant bannières et instruments de musique, comme dans une fanfare traditionnelle.

© Centre Culturel Coréen

L’exposition se prolonge dans la salle vidéo du Centre Culturel Coréen par une plongée dans l’univers virtuel de NFT – Non Fungible Token – organisée sur le serveur de la plateforme numérique coréenne KLUBS rassemblant vingt-cinq artistes coréens et six artistes français. Dans l’auditorium, une projection de vidéo mapping du collectif Davvero Art permet une plongée en totale immersion dans le domaine des couleurs, un vrai plaisir des yeux.

Refait à neuf depuis peu, le Centre Culturel Coréen est un bel endroit situé au cœur de Paris, entre Saint-Augustin et les Champs Élysées, où se développe un vrai projet culturel, en dialogue avec la France. Des activités diverses comme projections, concerts, expositions, formes dansées traditionnelles et projets novateurs s’y côtoient et se partagent.

© Centre Culturel Coréen

Après les années Covid, le directeur et homme de culture, M. John Hae Oung a mis les bouchées doubles. Avec son équipe, il a su rendre ce lieu chaleureux, raffiné et hospitalier et développe une programmation créative et dynamique. Il y a du monde devant le Centre, et jusqu’au trottoir, c’est une vraie réussite ! Toutes nos Félicitations au Directeur qui reprend la route et rentre au pays vaquer à d’autres missions culturelles, et longue vie au Centre Culturel Coréen à Paris !

Brigitte Rémer, le 25 août 2022

Exposition La Fête des lanternes jusqu’au 16 septembre, du lundi au vendredi de 10h à 18h, le samedi de 14h à 18h – Centre Culturel Coréen /주프랑스 한국문화원 – 20 rue La Boétie – 75008 Paris, métro : Miromesnil – tél : 01 47 20 86 48 – site : wwwcoree-culture.org

Hammams à Sanaa

Culture, architecture, histoire et société. Coordination Michel Tuchscherer – Photographies Nabil Boutros – Éditions Geuthner.

Autour de Michel Tuchscherer, initiateur du projet et qui a rédigé de nombreux chapitres de l’ouvrage, cinq auteurs ont contribué à la réflexion sur les Hammams à Sanaa ainsi qu’un artiste visuel, Nabil Boutros qui en a réalisé les photos, transformant ce livre scientifique en un véritable livre d’art. Michel Tuchscherer est spécialiste d’histoire moderne du Moyen-Orient et ancien directeur du Centre Français d’Archéologie et de Sciences Sociales (le CEFAS) à Sanaa – Yémen. Artiste visuel, Nabil Boutros a centré son travail photographique sur l’Égypte son pays d’origine, le Moyen-Orient et l’Afrique, et participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives dans ces régions du monde, présentant des travaux et installations visuelles de différentes factures. Ici, ses photos, complétées de commentaires, nous servent aussi de guide.

© Nabil Boutros

Cette précieuse étude sur les Hammams à Sanaa est construite en neuf étapes et commence par les préparatifs indispensables, avant d’aller au hammam. « À Sanaa on ne va pas au hammam à l’improviste » écrit Michel Tuchscherer, on rassemble quelques affaires dans un panier ou un sac plastique : pagne de coton qui s’enroulera autour de la taille, gant, change, savon et shampoing pour Le parcours balnéaire côté hommes décrit par Michel Tuchscherer, plus bref que Le  parcours balnéaire côté femmes, que rapporte Fâtima al-Baydânî – spécialiste pour la collecte de la littérature orale populaire à travers le Yémen, chercheuse à L’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), à Marseille) – ces deux parcours forment les premiers chapitres du livre. Les femmes ne vont pas seules au hammam, mais avec des parentes, voisines ou amies, c’est pour elles un lieu de sociabilité. « La ségrégation entre hommes et femmes est absolue » confirme la chercheuse même si, depuis 1980, certains hammams ont mis fin au fonctionnement en alternance et permettent un accès simultané, à l’intérieur tout reste parfaitement cloisonné.

© Nabil Boutros

À Sanaa « le hammam est une modeste construction sans étage, dont la façade est blanchie à la chaux et percée d’une très discrète porte arquée. Parfois quelques petites coupoles sur les toits le signalent, parfois des inscriptions peintes affichent les heures d’ouverture, ou adressent quelques mots d’accueil :« Hammam Bustan al-Sultan souhaite la bienvenue à ses chers clients » dit la photo. Les brumes que dégagent les vapeurs humides des bains qui nous sont donnés à voir, ajoutent au mystère du rituel et de l’intime.

Le seuil de la porte franchi, le livre décrit les étapes préparant au bain : quitter ses chaussures, se déshabiller au vestiaire – la partie fraîche du parcours -, échauffer le corps pour passer de la partie tiède à la partie chaude située au fond, pour  s’enfoncer dans une intense sudation, recevoir un filet d’eau fraîche sur le nombril pour détendre le ventre, faire ruisseler l’eau sur le corps, frictionner lentement au gant en mouvements réguliers, shampouiner à grandes eaux et rincer abondamment. Les femmes passent un long temps devant une vasque pour les soins de leur peau et de leurs cheveux. Puis il faut refroidir le corps avant le retour à l’extérieur – Sanaa se situe à 2200 mètres d’altitude, sa température ne dépasse pas 30° – les hommes sortent la tête enveloppée dans un grand châle. Chapitre par chapitre le sujet s’approfondit et Michel Tuchscherer montre au chapitre trois que le hammam est aussi un lieu ambigu hanté par les Djinns.

© Nabil Boutros

Fâtima al-Baydânî rapporte en ce sens un conte collecté dans le patrimoine populaire oral, le Conte des deux bossus et les Djinns. La quête de la pureté rituelle qui est au cœur des pratiques de l’Islam se retrouve au hammam où le croyant chasse les souillures de la vie organique et où l’homme devient vulnérable, n’étant plus sous la protection de l’ange Munkar ni de son acolyte, Nakir. Il multiplie les gestes de précaution. Autour, émanant d’un brûle-parfum, la myrrhe aux vertus médicinales en même temps que parfum, répand ses senteurs. Au-delà de la purification du corps le bain est aussi purification de l’esprit et permet un rapprochement d’avec Dieu. Il n’est pas rare d’achever son parcours balnéaire par une prière, à l’intérieur même du hammam.

© Nabil Boutros

Le livre propose aussi, par ses encadrés, de mettre le projecteur sur certains sujets. Ainsi sur le massage, rituel essentiel qui n’a pourtant aucun caractère obligatoire. La qualité du geste du masseur et le rythme qu’il y donne, les étirements qu’il pratique prennent en compte la globalité du corps. Claire Davrainville, – fasciathérapeute, diplômée en art et thérapie du mouvement, Université Moderne de Lisbonne – parle du Massage dans le parcours balnéaire des hommes, réalisé à la demande par un frictionneur expérimenté ou par le maître de bain. Le hammam accompagne les grands moments de la vie et rites de passages comme le mariage, l’accouchement après la période des quarante jours de l’accouchée, la veille des grandes fêtes religieuses avec leurs multiples rites et interdits. Il est aussi un marqueur dans la sexualité des enfants qui à partir de six ans ne suivent plus leur mère mais accompagnent selon leur sexe, père ou mère. Le bain est à la fois public et intime, savoir-vivre et pudeur, il procure de grands bienfaits.

Dans le droit fil d’un art de vivre ancestral, la culture citadine de Sanaa oblige à des moments de convivialité. Ainsi, dans le prolongement du hammam et comme lui thérapie de l’âme, le magyal est au cœur des rites de sociabilité. Confortablement installés à même le sol autour d’une nappe blanche et selon une hiérarchie de préséances, se partage le plaisir d’être ensemble. Moment de contemplation et de discussion, moment de convivialité où l’on mâche le qat à l’effet légèrement euphorisant, où s’échange la nourriture pour arriver, en décrescendo, jusqu’à l’heure de l’appel à la prière du couchant.

© Nabil Boutros

Christian Darles – architecte et archéologue, chercheur associé au Laboratoire de Recherches en Architecture de Toulouse et au Centre Français d’Archéologie et des Sciences Humaines de Sanaa – parle ensuite de l’Architecture et Matériaux, entre l’ancien et le nouveau et présente l’intérieur, puis l’extérieur des hammams. De la partie fraîche avec vestiaire, fontaine et bassin aux parties tièdes et chaudes ; des anciens hammams aux adaptations des plus récentes avec renouvellement des matériaux et des techniques et glissements de la signification même de l’usage du bain ; des toits-terrasses aux coupoles percées de lucarnes ; des réservoirs d’eau et systèmes de chaufferie ; de la maison du gardien. Il y a peu, l’eau venait de puits situés à proximité que l’on montait dans des citernes à ciel ouvert à l’aide d’une corde et d’une poulie. Il n’y avait pas de hammam sans puits.

Quand Michel Tuchscherer recherche l’origine des hammams à Sanaa, il fait face à plusieurs versions. Certains les datent du milieu du XVIème siècle, époque de l’occupation ottomane. Compte tenu d’une histoire lacunaire, le chercheur déclare : « Une chose est indéniable, les hammams antérieurs au XXème siècle entretiennent des liens étroits avec les mosquées, avec les jardins, à travers les fondations pieuses (waqf) et ont longtemps fonctionné en symbiose avec la ville. » Avec Yahyâ al-‘Ubalî – chercheur à l’Université de Sanaa, qui a réalisé la plupart des enquêtes de terrain – il se penche ensuite sur les savoir-faire des métiers du bain – le frictionneur qui « fait le hammam », le maître de bain, gestionnaire et médiateur dans les conflits – et sur le statut social des hammamis, au bas de la hiérarchie sociale traditionnelle, appelés les gens du cinquième. Traiter quelqu’un de hammami est en fait une insulte. Pourtant les métiers et savoir-faire se transmettent dans ce que le Yémen appelle la famille élargie, des groupes patronymiques qui comprennent plusieurs lignées. La gestion du hammam est familiale et patriarcale.

La fréquentation du bain était et reste un art de vivre. « Contrairement à de nombreux pays du Moyen-Orient, de la Tunisie à la Turquie, en passant par l’Égypte et la Syrie où nombre de hammams sont en ruine ou ont disparu, où les pratiques sont tombées en déshérence, au Yémen au contraire se maintient une solide culture du hammam » note Michel Tuchscherer, même si, dans la conclusion de l’ouvrage il reconnaît que les hammams s’éloignent de leur statut d’institution au service de la communauté pour se transformer en entreprise privée répondant à des clientèles plus diversifiées.

© Nabil Boutros

Lieu d’ambiguïté et de contradictions, le hammam correspond à une caractéristique essentielle de la civilisation islamique. À différents moments de l’ouvrage, Mohamed Bakhouch – professeur émérite de littérature arabe ancienne, Université d’Aix-Marseille – met en exergue les vers d’un poète du XVIIIème siècle, Muhammad al-Kawkabani montrant que le hammam est bien le personnage principal de l’urbain, du religieux et du social. C’est aussi le lieu qui répond à l’imaginaire des corps et qui, avec la lumière tamisée émanant des coupoles, contribue à son atmosphère singulière. Cette lumière, ces atmosphères, ont été admirablement captées à travers l’objectif de Nabil Boutros. Les précieuses images – dont un bon nombre en pleine page – sont accompagnées d’un commentaire détaillé et traduisent les gestes et les étapes du parcours dans le hammam : déshabillage et gros plan sur pied mouillé, ronde d’hommes dans la salle chaude pour accélérer et renforcer la sudation, lumières tamisées, ajustement de la fûta ce pagne dont s’entoure le baigneur, ballots des usagers suspendus au vestiaire, sudation dans la pièce chaude les hommes allongés à même le sol, brumes et vapeurs de la chaleur humide diffusée. Ces photographies nous font parcourir les étapes suivies par celui qui se rend au hammam – friction, massage, shampouinage, rinçage à grandes eaux, ruissellement de l’eau de la tête aux pieds -. Au-delà de leur aspect documentaire elles offrent à celui qui les regardent des pans de réflexion sur un art de vivre. Elles sont elles-mêmes de purs scénarios. Les lieux nous sont montrés principalement du côté des hommes, là où le photographe pouvait pénétrer. Il s’est rendu dans de nombreux hammams, en détaille l’extérieur et l’intérieur, y compris le vendredi matin, jour d’affluence et de détente, jour de prière. Il montre les murs à la chaux et les gestes, derrière les murs les moindres petits recoins et invite à un voyage artistique, philosophique et spirituel.

Publié par la Librairie Orientaliste Paul Geuthner Hammams à Sanaa – culture, architecture, histoire et société transmet au début de l’ouvrage le système de translittérations des caractères arabes et montre à la fin de l’ouvrage une carte de Sanaa sur laquelle figure les anciens hammams et leurs relevés, ainsi que la carte et les relevés des nouveaux hammams ; des notes et références souvent en bilingue, arabe et français y figurent ainsi que plusieurs index – celui des noms communs, des noms de lieux, des noms de personnes et de groupes ainsi qu’un glossaire indexé des termes arabes. C’est admirablement réalisé dans le cheminement de l’usager-baigneur, formidablement documenté par Michel Tuchscherer et les auteurs, magnifiquement accompagné et commenté par les photos de Nabil Boutros qui en a aussi assuré la mise en page avec Chloé Heinis. C’est une somme de travail et un superbe ouvrage !  

Brigitte Rémer, le 23 juillet 2022

© Nabil Boutros

Hammams à Sanaa – culture, architecture, histoire et société. Coordination Michel Tuchscherer – Photographies Nabil Boutros. Contributeurs – Fâtima al-Baydânî, spécialiste pour la collecte de la littérature orale populaire à travers le Yémen, chercheuse à L’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), à Marseille – Mohamed Bakhouch, professeur émérite de littérature arabe ancienne, Université d’Aix-Marseille – Christian Darles, architecte et archéologue, chercheur associé au Laboratoire de Recherches en Architecture de Toulouse et au Centre Français d’Archéologie et des Sciences Humaines de Sanaa – Claire Davrainville, fasciathérapeute, diplômée en art et thérapie du mouvement, Université Moderne de Lisbonne – Yahyâ al-‘Ubalî, chercheur à l’Université de Sanaa, qui a réalisé la plupart des enquêtes de terrain.

Édité par la Librairie Orientaliste Paul Geuthner S.A – 16 rue de la Grande Chaumière. 75006. Paris – Site : www.geuthner.com – Paris, dernier trimestre 2021.

Prix Unesco-Sharjah pour la Culture arabe

© BR

Cérémonie de remise du Prix Unesco-Sharjah pour la Culture Arabe récompensant quatre artistes ou personnalités impliquées dans la diffusion de la culture arabe, dans leurs pays, éditions 17 et 18.

Après deux ans d’interruption pour raison de pandémie, quatre lauréats furent mis à l’honneur le 30 mai dernier, pour avoir participé à la construction de ponts entre les arts et les continents en 2020-2021 et 2021-2022. La référence à André Malraux qui « pensait avec lucidité que la culture est ce qui avait fait de l’homme un Homme » a été rappelée par les personnalités qui, en introduction, ont pris la parole à tour de rôle, sous la houlette du Sous-Directeur Général pour la Culture à l’Unesco, M. Ernesto Ottone Ramírez.

Dunya Mikhail © BR

Tous ont insisté sur le pouvoir de la culture et sur l’encouragement donné, à partir de 1998, par la création du Prix Unesco-Sharjah pour la Culture Arabe visant à encourager le dialogue interculturel. Chaque candidat a présenté son travail et ses modes d’intervention à travers une vidéo et a témoigné de son engagement. Un moment artistique et musical avec la participation des lauréats a clôturé la cérémonie, modérée par Maya Khadra, journaliste et auteure libanaise.

Pour l’édition 18 (2021/22) deux lauréates ont été récompensées : Dunya Mikhail, d’Irak et Helen Al-Janabi, de Suède. Née à Bagdad (Irak) et après un BA de l’Université de la ville, Dunya Mikhail a travaillé comme traductrice et journaliste avant d’émigrer aux États-Unis en 1996 et d’obtenir une maîtrise à la Wayne State University. Son écriture, sa traduction, sa poésie et sa prose puissantes – en traduction arabe et anglaise – parlent des horreurs de la guerre, de la migration et de la perte de son pays avec les difficultés qui l’accompagnent. Sa poésie est alimentée par un profond sentiment d’identité, en tant que réfugiée, artiste et femme. Son premier livre publié en anglais en 2005 et traduit par Elizabeth Winslow, The War Works Hard, avait été sélectionné comme l’un des « vingt-cinq meilleurs livres de 2005 » par la New York Public Library.

Helen Al-Janabi © BR

Présentée par l’Ambassadrice de Suède auprès de l’Unesco, Helen Al-Janabi, seconde lauréate de l’année est une actrice suédoise d’origine syro-irakienne, vivant à Stockholm depuis 2009. Formée comme actrice à l’Académie de théâtre de Damas, elle a tourné dans plusieurs films, séries télévisées et productions théâtrales au Moyen-Orient. Son travail touche aux thèmes du déplacement, de l’exil forcé, de la langue et de la cohésion sociale. Elle a fondé en 2015 Arabiska Teatern, la première troupe de théâtre professionnel arabophone d’Europe qui a produit cinq pièces en arabe et joué plus de quatre cents fois en Suède.

” Camel of Heavy Burdens” de Suleiman Mansour

Pour l’édition 17 (2020/21) les deux lauréats récompensés furent Suleiman Mansour, de Palestine et Silvia Alice Antibas, du Brésil. Souffrant, Suleiman Mansour n’a pu se rendre à Paris recevoir son Prix, nous l’avons rencontré par vidéo interposée. De renommée internationale c’est l’un des artistes peintres les plus influents de son pays, son œuvre est vaste et se décline sous différentes formes. Il travaille depuis une cinquantaine d’années sur l’expression de l’identité palestinienne, a largement contribué au développement de l’infrastructure des Beaux-Arts au niveau local, et il est membre fondateur de la Ligue des artistes palestiniens. En 1994 Suleiman Mansour a cofondé le Centre d’art Al-Wasiti à Jérusalem-Est et en a été le directeur de 1996 à 2003. Il est aussi l’un des fondateurs du conseil d’administration de l’Académie internationale d’art en Palestine et enseigne dans différentes institutions.

Silvia Alice Antibas, Brésilienne, avait passé un an d’études en France, en 2000/2001 dans le programme de la Formation Internationale Culture qu’avait créé Jack Lang et que j’avais eu la chance de diriger, programme où la problématique interculturelle se vivait au quotidien, un temps remis entre les mains de la Commission française pour l’Unesco. Puis elle a consacré sa carrière à promouvoir une meilleure compréhension de la culture arabe en Amérique latine, en se concentrant sur la migration arabe vers le Brésil. Ses origines, par son père, nous conduisent à Alep, en Syrie. Elle a entre autres, promu des écrivains brésiliens d’origine arabe à travers la traduction de leurs œuvres en arabe, et analysé l’influence de la musique arabe sur la musique brésilienne, en cartographiant et collectant de précieux documents d’archives. Ses recherches sur le sujet montrent que « l’influence arabe dans la culture brésilienne commence avant même que le pays ait été découvert en 1500, à partir de l’occupation par les Maures de la péninsule ibérique, au VIIIè siècle. » Même dans la samba, forme musicale emblématique brésilienne s’il en est, la présence arabe se fait sentir.

Silvia Antibas © BR

Dans son discours d’introduction lors de la cérémonie, Silvia Antibas a montré la convergence entre la musique arabe et les sambas, parlé des Maliens en esclavage et de leur révolte à Bahia, des étapes d’émigration à Rio de Janeiro apportant de nouveaux instruments de musique – comme les tambours/ duff du monde arabe proches des pandeiros du Brésil – et elle a mis l’accent sur les similitudes entre certains rythmes africains et la musique du Nordeste. La fin du XIXè siècle avait vu une vague d’émigration arabe vers le Brésil, puis au fil du temps les émigrés s’étaient bien intégrés multipliant les passerelles dans certaines professions, dans certaines fêtes comme les mariages, dans la cuisine. Les artistes d’origine arabe se sont retrouvés, à partir des années 30, dans toutes les formations musicales brésiliennes telles que samba, chansons, bossa nova, jazz. Ensemble ils ont créé de nouvelles formes musicales comme autant de syncrétisme entre la terre d’origine et la terre où ils vivent.

Silvia Antibas et l’Ensemble Mazzika © BR

Après les communications des lauréats est venu le moment où chacun a montré son travail, sur scène et/ou par visio :  traductions et lectures poétiques par Dunya Mikhail ; extraits de pièces par Helen Al-Janabi avec sa troupe Arabiska Teatern ; formation musicale, association Mazzika, réunie par Silvia Antibas, suivi d’un concert fusion El musica : un dialogue en mouvement, moments chaleureux et de convivialité, guidés par chacune des intervenantes.

La sous-directrice générale pour les Sciences sociales et humaines de l’Unesco, Gabriela Ramos, a clôturé l’événement en déclarant : « Je souhaite sincèrement que le Prix Unesco-Sharjah pour la Culture arabe continue de servir d’éclaireur pour le dialogue, la créativité et l’excellence culturelle pour les décennies à venir. Plus fondamentalement, j’espère qu’un tel prix continuera d’inspirer les artistes et les interprètes du monde entier à utiliser leur talent pour faire progresser la paix dans le monde. »

Brigitte Rémer, 30 juin 2022

Maison de l’UNESCO, 125, avenue de Suffren, 75007. Paris – email : prix.sharjah@unesco.org – site : www.unesco.org – Tél. : 01 45 68 09 66

“Essaimées” au Lycée Paul-Éluard de Saint-Denis

© Les Musiques de la Boulangère

Nicolas Frize et les Musiques de la Boulangère en répétition avant la présentation d’un vaste programme musical dans tous les espaces du Lycée Paul-Éluard, les 13, 14 et 15 mai 2022.

Le compositeur Nicolas Frize aime les lieux singuliers et rencontres improbables où mêler ses recherches musicales teintées de positionnement artistique, politique et humain : usines, hôpitaux, prisons, écoles, bureaux, espace public.

C’est aujourd’hui dans le plus grand lycée de Saint-Denis, en région Ile-de-France, le Lycée Paul Eluard – accueillant plus de deux mille élèves, trois cents personnels dont deux cent dix professeurs – où il est en résidence depuis plus d’un an, que Nicolas Frize prépare ses prochaines interventions. Il y rencontre des élèves de différentes classes de seconde, première et terminale et des professeurs de toutes disciplines qui deviendront les interprètes de sa prochaine présentation-composition in-situ, intitulée Essaimée, à la mi-mai. Tous les espaces du Lycée seront musicaux et chantés : salles de cours et d’ateliers, gymnases, amphithéâtre, cafétéria, hall, cour extérieure. Il part des enseignements existants, des outils et objets pédagogiques pour les prolonger artistiquement et conceptuellement, exploitant leur dimension sensible.

Une observation en cours de travail permet de voir la confiance qui s’établit entre le maître de musique et les élèves, entre professionnels et amateurs. Ce jour-là, un petit groupe travaille sur les langues de différentes origines comme tamoul, portugais, roumain, lingala, arabe, bengali, en dialogue avec une soprano japonaise. Au-delà des timidités, les élèves dialoguent entre eux s’exprimant chacun dans sa/ses langues d’origine et se répondent au fil des intentions, des musicalités du langage et de la dynamique de chacun, sans recherche de traduction ni de volonté de compréhension, au mot pour mot. Le corps se met en mouvement : se déplacer, marcher, se regarder, se disputer, se regrouper. La soprano lance des propositions dans lesquelles s’interposent les élèves et auxquelles ils répondent. Lucie-Rose, congolaise, apporte son enthousiasme, les sri-lankaises Mathusha et Megha, de même langue tamoule, se donnent mutuellement du courage.

Nicolas Frize observe, stimule, régule, questionne, induit des reprises et de précieux moments à conserver, des inflexions à travailler, propose à chacun de se souvenir d’une berceuse de son enfance. Tout se fait dans l’écoute, l’esquisse, la proposition, la discussion. L’échange est fluide et respectueux, cherche entre le parler et le chanter et construit un conducteur qui deviendra la trame d’une séquence du spectacle.

La base du travail repose sur l’altérité, la découverte d’autres territoires, les nuances d’autres pensées, d’autres musicalités, d’autres rationalités. Une fraternité politique et poétique se construit sous le regard des autres, dans les intonations et gestes imaginés et proposés. Chacun a sa place, petite ou grande, selon sa personnalité et son désir, selon ce qu’il ose, ce qu’il se risque à échanger.

Ce jour-là c’est une professeure en histoire-géographie, en géo-politique, qui les accompagne, au sens physique comme moral et participatif. Toute l’année, ensemble, ils ont travaillé et échangé sur de grands thèmes transversaux comme la notion de frontière et d’exil. Demain ce sera peut-être le professeur de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), de chimie, de sport, de littérature ou de philo avec lesquels ils auront cheminé sur d’autres sujets, tous participant, par la transmission des connaissances, à la construction de leurs personnalités. Les relations entre l’écrit et l’oral et la résonance de certains mots comme le mot culture(s) sont au coeur des préoccupations du compositeur.

Lors de la phase concert, en mai, se retrouveront dans tous les espaces du lycée deux cents interprètes, élèves, professeurs, personnels administratifs et techniques, les élèves de cinq conservatoires de musique de Seine-Saint-Denis, les élèves de deux collèges professionnels, des musiciens et des chanteurs professionnels. Trente œuvres – de courte durée – seront jouées et chantées dans des compositions de Nicolas Frize mais aussi d’autres comme John Adams et les œuvres de deux jeunes compositrices auprès de qui Les Musiques de la Boulangère ont passé commande. Une scénographie s’élabore ainsi qu’une signalétique pour que les auditeurs-spectateurs itinérants, se repèrent. C’est une vaste œuvre collective intergénérationnelle et interculturelle à laquelle les publics sont conviés.

Brigitte Rémer, le 25 avril 2022

Concerts les vendredi 13 mai à 19h30, samedi 14 mai à 15h30 et 19h30, dimanche 15 mai à 15h30 – Lycée Paul-Eluard, 15-17, avenue Jean-Moulin, 93200 – Saint-Denis – métro Saint-Denis Basilique. Site : www.nicolasfrize.net – Entrée libre, réservation obligatoire : RESERVATION

Salon du livre des Balkans 2022

© Yves Rousselet

C’est une année particulière pour le Salon du livre des Balkans qui fêtait sa 10ème édition en février dernier, Pascal Hamon en est le fondateur. Avec l’Association Fête du Livre des Balkans il continue à le faire vivre, entouré d’une équipe de passionnés. Il en rappelle l’objectif : « présenter les Balkans autrement » et « montrer au public quels peuvent être les éléments culturels communs des pays balkaniques dans des domaines tels que l’histoire, les langues, les religions, et aussi les littératures et écritures dans toute leur diversité. » Depuis 2012, la manifestation est accueillie à l’Inalco-Bulac, Pôle des Langues et Civilisations qui se transforme en véritable ruche.

Flash-back donc en cette édition 2022 sur le chemin parcouru – après un arrêt dû au Covid – à travers une rétrospective d’affiches (de Franyo Toth et Johanna Marcadé) et de photographies (d’Yves Rousselet) et avec une clôture festive de l’édition, par l’intervention musicale de Gülay Hacer Toruk qui chante les Balkans, entourée de ses musiciens

Étaient présents au Salon du livre des Balkans cette année plus d’une vingtaine d’éditeurs, venant de cet espace géographique ou travaillant avec, pour présenter leurs dernières parutions. Des rencontres avec auteurs, traducteurs, éditeurs et libraires, des lectures et des tables rondes, des expositions, des coups de cœur, des signatures et la remise du Prix du Salon, confirment une véritable dynamique de la littérature des Balkans.

Nous ne pouvons ici en retenir que quelques exemples comme la carte blanche donnée à Chloé Billon, traductrice du croate, en dialogue avec Marie Vrinat-Nikolov, enseignante à l’Inalco, pour montrer les spécificités de La littérature croate contemporaine, dans un pays, la Croatie, situé au croisement de l’Europe centrale, des Balkans et du monde méditerranéen ; les ouvrages de Dubravka Ugresic, Bekim Sejranovic, Olja Savicevic et Robert Perisic y étaient présentés à titre de référence. La projection d’un court métrage documentaire de la réalisatrice croate Ines Jokos, lauréate du Festival des Cinémas du Sud Est Européen, Do you go out ? précédait le débat : deux personnes se rencontrent à l’hiver de leur vie.

Autre exemple avec ces trois pays, trois villes, mises à l’honneur, dans la série Coups de cœur, à travers les ouvrages de Ylljet Alicka sur l’Albanie : Métamorphose d’une capitale, aux éditions des Soixante – Sedef Ecer sur Istanbul : Trésor national, aux éditions J.C. Lattès – Ivan Nilsen : Les carnets de Salonique, aux éditions Marie Barbier. Une table ronde autour de Bernard Lory, professeur à l’Inalco, sur le thème De l’Histoire à la fiction a rassemblé des auteurs du Kosovo, Croatie, Roumanie et Turquie, pour mettre en évidence la transformatin et le passage de la matière historique en matière littéraire. La présentation du livre Les Bords réels (éditions Bec en l’air) et projection des images de films documentaires consacrés à la Bosnie, réalisés par Adrien Selbert, photographe de l’Agence Vu et réalisateur, qui sillonne depuis près de vingt ans le pays, interrogeant la question de l’après-guerre. Une conférence-débat autour de la directrice des éditions internationales du Monde Diplomatique, Anne Cécile Robert, sur La liberté de la presse dans les Balkans, avec les directeurs des sept éditions internationales du Monde Diplomatique présents au Kosovo, Albanie, Bulgarie, Grèce, Macédoine du Nord, Serbie et Turquie.

© Yves Rousselet

Une table ronde  sur le thème Importance et fragilité des communautés juives dans les Balkans, modérée par Jean-Claude Kuperminc, directeur de la bibliothèque et des archives de l’Alliance israélite universelle, a rassemblé Odette Varon -Vassard pour Des sépharades aux juifs grecs (éditions Le Manuscrit), Nadège Regaru pour Et les juifs bulgares furent sauvés, une histoire des savoirs sur la Shoah en Bulgarie (éditions Presses de Sciences-Po), François Azar, éditeur et Gazmen Toska représentant du musée juif de Berat en Albanie, pour présenter le livre de Moïse Abinun, Les lumières de Sarajevo (éditions Lior). Les échanges ont porté sur l’émigration des Séfarades expulsés d’Espagne et du Portugal au XVème siècle et accueillis par les pays de l’Empire Ottoman.

© Yves Rousselet

Autre thème proposé, Comment parler de l’actualité littéraire balkanique, échanges animés par Evelyne Noygues et rencontre avec trois écoles balkaniques de Paris et Région Parisienne partenaires du Salon du Livre : les écoles, turque De la Seine au Bosphore, bulgare Cyrille et Méthode et grecque de Chatenay-Malabry.

De nombreuses séances de dédicace ont émaillé ces deux journées consacrées aux échanges littéraires liés à la dynamique créatrice de la région des Balkans où agissent en synergie auteurs et éditeurs, intellectuels et artistes. L’organisation du Salon permet ces croisements et rencontres, fructueuses et conviviales, d’autant après deux ans de suspension pour raison de pandémie. Une manifestation à suivre dans ses prochaines éditions. Premier rendez-vous en novembre 2023, pour la 11ème édition !

brigitte rémer, le 10 avril 2022

Salon du livre des Balkans, INALCO / BULAC – 65 rue des Grands Moulins – Paris 75013 – www.livredesbalkans.net

Pour l’Ukraine – L’appel du monde culturel français


Drapeau ukrainien © DR

 

Plus de quatre-vingts professionnels du domaine de l’art et de la culture ont en quelques heures signé le message ci-dessous, assurant leurs alter-ego d’Ukraine de leur solidarité. Bien d’autres ne tarderont pas à les rejoindre.

 

Nous, directrices et directeurs de lieux culturels en France, nous exprimons par ce message notre solidarité au peuple ukrainien et aux artistes ukrainiennes et ukrainiens.

Nous sommes, face à l’urgence et aux dangers encourus par des artistes contraints de fuir la guerre, prêts à nous mobiliser, à contribuer à les accueillir en France afin qu’ils puissent continuer leur activité et ainsi préserver la libre expression de la culture ukrainienne.

Drapeau ukrainien © DR

 

A vous, Oxana, Ludmila, Nina, Tarass, toutes nos pensées de fraternité et d’amitié.

 

 

 

 

Salon du livre des Balkans

10ème édition ! Vendredi 11 et jeudi 12 février 2022, 65 rue des Grands Moulins. 75013. Paris – Pôle des Langues et Civilisations, à l’INALCO/BULAC (Entrée libre).

VENDREDI 11 FĒVRIER  2022                                                                                

16h –  Ouverture du Salon Inauguration de l’Exposition
 “Dix éditions du Salon au travers de ses affiches et des photographies” 

16h30 – Les invités de nos Coups d’Cœur,  autour de Trois Villes/Trois Époques – Ylljet Aliçka pour “Métamorphose d’une capitale” éditions L’Esprit Du Temps – Ivan Nilsen  pour “Les carnets de Salonique” éditions Marie Barbier  – Sedef Ecer pour “Trésor national”  éditions JC Lattès – Échange animé par Ornela Thodoroshi

17h30Projection du film lauréat 2021 dans la catégorie documentaire “Do you go out ?”  de Ines Jokos  (Croatie, sous-titre anglais) en partenariat avec le festival SEE à Paris

18h – La littérature croate contemporaine Carte blanche à Chloé Billon traductrice du croate au travers des ouvrages de Dubravka Ugresic, Bekim Sejranovic, Olja Savicevic et Robert Perisic.
Dialogue avec Marie Vrinat-Nikolov, enseignante à l’Inalco

19h – Table ronde “De l’Histoire à la fiction” avec :
Timothée Demeillers pour “Demain la brume” éditions Asphalte 
Jeton Neziraj pour “Vol au-dessus du théâtre du Kosovo” “Spectacle pour 4 acteurs”
éditions Espace d’un Instant
Florina Illis pour “Le livre des nombres” éditions Syrtes 
Nedim Gursel pour “Balcon sur la Méditerranée, cet hiver à Sarajevo” éditions Le Seuil.
Échanges modérés par Bernard Lory historien et enseignant à l’Inalco

21h – Photographies d’Adrien Selbert  “Les Bords réels” , Présentation du livre et projection de l’ouvrage consacré à la Bosnie, éditions Bec en l’air – Entretien animé par Pascal Hamon fondateur du Salon

 

SAMEDI 12 FĒVRIER 2022

10h – Ouverture du Salon

11h Comment parler de l’actualité littéraire balkanique ? Avec Jean Paul Champseix,  Timur Muhidine, Nicolas Trifon. Échange animé par Evelyne Noygues

13h – Rencontre avec les élèves de l’école de langue bulgare “Cyrille et Méthode”, avec l’école de langue turque “De la Seine au Bosphore” et avec l’école grecque de Chatenay-Malabry autour des Fables et notamment celles d’Esope, de La Fontaine et de Stojan Mihajlovski (Bulgarie)

15h – Conférence  Débat  “La liberté de la presse dans les Balkans”  avec les directeurs des sept éditions internationales du Monde Diplomatique présents dans les Balkans : Kosovo, Albanie, Bulgarie, Grèce,  Macédoine du Nord, Serbie, Turquie. Présenté par Anne Cécile Robert directrice des éditions internationales du Monde Diplomatique

16h30 – Table Ronde “Importance et fragilité des communautés juives dans les Balkans modérateur Jean-Claude Kuperminc directeur de la bibliothèque et des archives de l’Alliance israélite   universelle. Avec  la participation de :
. Odette Varon -Vassard pour “Des sépharades aux juifs grecs” éditions Le Manuscrit
. Nadège Ragaru pour “Et les juifs bulgares furent sauvés, une histoire des savoirs sur  la Shoah
en Bulgarie “
 éditions Presses de Sciences-Po
. Moïse Abinun ” Les lumières de Sarajevo” éditions Lior  présenté par François Azar et Gazmen Toska, représentant du musée juif de Berat en Albanie

18h – séance de dédicaces

18h30 – Le Salon du Livre des Balkans fête ses 10 éditions ! Intervention musicale
de Gulay Hacer Toruk et ses musiciens

21h     clôture du Salon

Pôle des Langues et CivilisationsINALCO/BULAC –  65 rue des Grands Moulins Paris 75013 – RER : C – Métro : ligne 14 – Bus : 276283 – Tram : T3A. Stations : Patay – Tolbiac ; Bibliothèque Rue Mann ; Bibliothèque Chevaleret ; Bibliothèque François Mitterrand ; Maryse Bastié ; Porte d’Ivry.

Entrée Libre dans le respect des règles sanitaires en vigueur  –  (Retransmission vidéo des débats)

Palais royaux de Corée

Sanctuaire de Jongmyo © Seo Heon-gang

Le Centre Culturel Coréen de Paris, comme tous les lieux culturels de France, entre en convalescence et ouvre ses portes le 19 mai. Il présente, quelques jours seulement, jusqu’au 22 mai, une remarquable exposition, avant qu’elle ne parte en tournée. A ne pas rater !

Les Palais royaux de Corée invitent à une flânerie poétique entre histoire, philosophie et art. L’histoire raconte que la dynastie Joseon a régné en Corée pendant plus de cinq siècles, de 1392 à 1910, et laisse une élégante trace à travers ces Palais royaux. La construction du Palais royal principal, Gyeongbokgung débute trois ans après le début de la dynastie, quand le roi Taejo décide de déplacer la capitale de Gaegyeong (aujourd’hui Kaesong, en Corée du Nord), à Hanyang, (aujourd’hui Séoul). Situé au pied du mont granitique Bugaksan, ce premier Palais scelle l’implantation de la dynastie dans la nouvelle capitale.

En 1398, le roi Jeongjong fait marche arrière et relocalise la capitale à Gaegyeong. Elle n’y reste pas longtemps car son successeur le roi Taejong décide, en 1405, de la réimplanter à Hanyang/Séoul. Il y adjoint un palais secondaire, Changdeokgung, achevé en 1412, bien intégré à la topographie et à l’environnement. Ce palais fera souvent fonction de palais principal. En 1483, Le roi Seongjong agrandit le palais et ses alentours et lui donne pour nouveau nom Changgyeonggung. Il en fait le lieu de la résidence royale tandis que Changdeokgung devient le lieu des affaires politiques. L’ensemble forme le Palais de l’Est (Donggwol).

Détruits par l’invasion japonaise, en 1592, les trois palais de Gyeongbokgung, Changdeokgung et Changgyeonggung seront reconstruits : Changdeokgung en 1610, qui servira de palais principal. Gyeongbokgung en 1867, que le roi Gojong utilisera comme palais royal pendant presque tout son règne puis qu’il promouvra trente ans plus tard au rang de palais impérial, après la création de l’Empire Coréen et son élévation au rang d’empereur. Suite à son abdication forcée, en 1907, le palais sera re-baptisé Deoksugung.

 On entre dans l’exposition par le Palais royal principal, Gyeongbokgung, signe de la dynastie Joseon, construit à partir de 1395. La salle du trône (Geunjeongjeon) de deux étages se dresse au centre d’une vaste cour pavée, bordée de deux rangées de pierres de rang déterminant la place de chaque fonctionnaire en fonction de sa position hiérarchique. Des photos grand format contrecollées sur aluminium font découvrir l’intérieur et l’extérieur du palais (photographies de Seo Heon-gang). L’intérieur est couvert de peintures polychromes aux couleurs vives représentant tous les symboles royaux de Corée. Un peu plus loin, les images de Park Jong-woo font voyager le visiteur d’un palais à l’autre. Le photographe et réalisateur de documentaires retransmet en trois dimensions sur des murs d’images qui nous encerclent ce patrimoine, fait de douceur et de gravité.

Changdeokgung, anciennement palais secondaire, est le modèle parfait d’harmonie avec la nature. Il est inscrit au patrimoine mondial Unesco depuis 1997. Édifié en 1405 il fut reconstruit à plusieurs reprises, après différentes destructions. A l’arrière du palais se trouve un superbe jardin (Huwon) et un étang (Buyongji), à la fois lieu de détente et lieu ouvert pour l’éducation. Des pavillons en forme de lotus ont été construits, sobres et intégrés dans la nature. Deoksugung a subi de nombreux préjudices lors de l’invasion japonaise, dont la vente d’une partie de son terrain. Dans la salle du trône (Chunghwajeon) se tiennent les événements officiels et se déroulent les cérémonies. Détruit en 1904 par un incendie, le palais fut reconstruit deux ans plus tard, sur un seul étage.

Changgyeonggung, une partie du Palais de l’Est, a subi de nombreuses destructions et autant de mutations. Ses travaux de rénovation ont débuté en 1983, lui permettant de retrouver son statut de palais royal. Incendiée en 1592 et reconstruite en 1616, la salle du trône (pavillon Myeongjeongjeon) n’était pas prévue comme espace politique mais pour l’accueil des trois reines mères. Le palais Changdeokgung (rebaptisé Gyeonghuigung en 1760), qui possédait plus d’une centaine de bâtiments dont un certain nombre avaient été détruits, fut reconstruit par la ville de Séoul après une longue période de fouilles, entre 1987 et 2002.

Le sanctuaire royal de Jongmyo, le plus important du pays, qui rassemble les tablettes royales ancestrales de la période Joseon a été reconstruit en 1608. Il se compose d’un espace rituel principal et d’un espace annexe pour la préparation des cérémonies. Majestueux dans sa sobriété, le bâtiment est sans ornementation. Il est inscrit depuis 1995 sur la liste du patrimoine mondial Unesco, ainsi que le rituel royal, les musiques et les danses, dans le cadre du patrimoine immatériel de l’humanité. Une grande plateforme pavée sur laquelle un long chemin dessert les différentes salles, le sépare du monde. Sur l’image proposée, l’alignement d’une vingtaine de fenêtres éclairées dans la régularité et la répétition architecturale offre aux musiciens et danseurs un espace dédié aux cérémonies rituelles. Une photo de l’intérieur montre les officiants se préparer, dans le silence et avec une grande solennité, tous gestes suspendus.

L’exposition se termine par une belle surprise, haute en couleurs, le mariage du roi Yeongjo et de la reine Jeongsun, cérémonie dite sobre – le roi ayant perdu sa première épouse plusieurs années auparavant et ayant respecté un long deuil – extraordinaire mise en scène de la cérémonie reconstituée en figurines de papier traditionnel coréen sculpté, le Hanji. La plasticienne Yang Mi-young fabrique elle-même son Hanji à la main, une pâte de fibre de mûrier qu’elle teint de couleurs précieuses, papier qui traverse des milliers d’années sans se dégrader. Elle a passé plus de trois ans avec une équipe de six personnes pour la réalisation de ce chef d’œuvre qui comprend plus de 500 figurines de papier, hautes de vingt-cinq centimètres, formant un défilé posé sur une longue table en U : cortège de soldats tenant bannières et arbalètes, infanterie et cavalerie, carrosses tirés par des rangées de chevaux, chapeaux selon le rang. Chaque visage est travaillé et dégage une expression différente. Yang Mi-young avait été reconnue artiste de l’année en 2016, au Salon du Patrimoine.

Le protocole du mariage royal est illustré dans l’un des 297 manuscrits royaux réalisés en 1759, (Uigwe), que l’armée française avait dérobés lors d’une expédition en Corée à la fin du XIXème siècle, et qu’elle avait gardés pendant cent quarante-cinq ans. Ils lui ont été « prêtés » plutôt que restitués, il y a une dizaine d’années. Dans ce livre magique dont une copie est exposée,1299 personnes et 379 chevaux sont représentés.

L’exposition Les Palais royaux de Corée est une magnifique proposition du directeur du Centre Culturel Coréen, Hae-oung John, exposition de trésors nationaux vivement recommandée. Inauguré il y a un an dans son nouvel écrin après avoir quitté l’avenue d’Iéna, le nouveau Centre situé rue la Boétie est superbement rénové et accueillant pour découvrir la culture coréenne royale et populaire.

Brigitte Rémer, le 15 mai 2021

Reprise de l’exposition du 19 au 22 mai 2021, (initialement prévue du 16 décembre 2020 au 26 février 2021) – Centre culturel Coréen, 20 rue la Boétie, 75008. Paris – tél. : +33 (0) 1 47 20 83 86 – site : www.coree-culture.org

Palais royaux de Corée ©Centre Culturel Coréen

Figurines de papier Hanji © Centre Culturel Coréen

El-Warsha Théâtre, lutte pour la survie

Les Oiseaux du Fayoum © Nabil Boutros

Lettre ouverte, transmise par Hassan El-Geretly, metteur en scène et directeur de la troupe El-Warsha Théâtre, au Caire :

À mes collègues artistes et directeurs.trices de théâtre, de France et d’ailleurs,

Depuis trente-cinq ans, El-Warsha ne s’est pas contenté d’être une simple réplique de la culture occidentale, même si celle-ci l’a nourrie dans la seconde moitié du XXème siècle et que, par les grands textes qu’elle s’est appropriés, elle a construit son identité propre. La troupe a travaillé la langue vernaculaire et développé des formes scéniques puisant dans les cultures ancestrales que sont le conte, la Geste Hilalienne, le chant et la variété des formes musicales d’Égypte et du Moyen-Orient, les arts du bâton qu’on trouve déjà représentés dans les tombes de la vallée du Nil, les marionnettes. L’éducation artistique et le travail social développé avec les jeunes, dans les villages de Moyenne-Égypte en partenariat avec les centres culturels locaux et régionaux ainsi que la transmission aux jeunes générations d’artistes, sont aussi au centre de notre action.

Confrontés à une diminution drastique des subsides de la part des centres culturels étrangers, des fondations internationales et des organisations intergouvernementales, ainsi qu’à l’annulation des tournées à l’étranger, notamment en France, nous nous trouvons aujourd’hui au bord du vide. Comment exister sans volonté politique de la part des pouvoirs publics ? C’est tout simplement impossible, vous, en France, êtes bien placés pour le savoir.

Si je lance cette bouteille à la mer pour attirer votre attention sur la situation de la troupe, c’est dans un esprit de solidarité et pour créer une dynamique autour d’un mouvement qui commence à se dessiner dans mon pays, celui des compagnies indépendantes avec toute leur vitalité – nombre de jeunes aujourd’hui s’y risquent – mais qui se trouve tragiquement suspendu dans sa course. Le théâtre en Égypte se doit d’être soit commercial, soit soumis aux pouvoirs publics dans un rapport de dépendance, il n’existe aucun entre-deux. Ce rôle de garde-fou rempli par les pouvoirs publics en France, et qui permet le développement de la création et de l’innovation artistique ainsi que la reconnaissance du travail accompli, est chez nous totalement absent.

Pour que El-Warsha puisse poursuivre sa route, toute collaboration, partenariat et /ou diffusion dans l’un de vos théâtres ou festivals nous serait précieux, même si, compte tenu de la pandémie, j’ai conscience que la situation des institutions théâtrales françaises, a sa part de difficulté. Dans tous les cas, je me réjouirais d’échanger avec vous sur ces sujets car, selon moi, il serait plus dangereux de laisser ces questions dans le silence.

En vous remerciant de votre attention et vous adressant mes salutations distinguées et cordiales.

Hassan El-Geretly / e-mail : hgeretly@hotmail.com

Zawaya © Nabil Boutros.

Cf. « Al-Ahram Hebdo » 17-23 février 2021 – Article de Nevine Lameï, El-Warsha lutte pour la survie – http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/0/5/25/34167/ElWarsha-lutte-pour-la-survie.aspx

Paris se souvient de Juan Camilo Sierra

© El País /Colombia

Un adieu de France des plus chaleureux à Juan Camilo Sierra Restrepo, grand gestionnaire culturel colombien qui s’est envolé vers l’Ailleurs, samedi 26 septembre 2020, à Bogotá, à l’âge de cinquante-cinq ans. Il souffrait d’un cancer. Une amie de Colombie nous a transmis la bien triste nouvelle.

Homme de conviction et d’action, Juan Camilo avait passé un an à Paris, en 1994/1995, dans le cadre de la Formation Internationale Culture créée en 1991 par Jack Lang alors Ministre de la Culture et mise en œuvre sous l’égide de la Commission nationale française pour l’Unesco. Il était diplômé de l’école de journalisme de Bogotá, écrivait des articles sur les événements culturels dans divers organes de presse colombiens et était correspondant à Paris du journal El Tiempo. A son retour il avait été commissaire d’expositions et critique d’art, conseiller éditorial en relation avec le Mexique et directeur du Fondo de Cultura Económica à Bogotá, entre 2001 et 2007 et, plus tard, entre 2011 et 2015. Il s’était spécialisé dans le domaine du livre en créant, en 2016, la Feria del Libro/ le Salon du Livre de Cali qu’il développait au fil des ans. Il en avait préparé l’édition virtuelle 2020, programmée entre le 15 et le 25 octobre.

Juan Camilo, 2d à gauche, et la Formation Internationale Culture – Novembre 1994 – Ministère de la Culture, Paris.

Avec quatorze autres responsables culturels de pays et continents différents, Juan Camilo s’était formé à la gestion culturelle à partir de l’observation en France et en Europe du fonctionnement des institutions culturelles, du montage de projets et par les rencontres sur le terrain avec les décideurs politiques et les opérateurs culturels de toutes disciplines. De la politique culturelle de la ville de Lille à la problématique européenne de la ville de Luxembourg, cette année-là ville européenne de toutes les cultures ; de la Cité des Sciences et de l’Industrie où il avait effectué un stage, au Festival d’Avignon où la promotion achevait son parcours d’étude, Juan Camilo se montrait curieux de tout et analysait avec pertinence et talent les expériences rencontrées.

Il avait élaboré et soutenu un mémoire pour l’obtention du DESS Action artistique, Politiques culturelles et Muséologie délivré par l’Université de Bourgogne/Faculté de Droit et de Science politique, intégré dans les apprentissages, sur le thème : La communication culturelle – Une approche de la salle Sciences-Actualités de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Daniel Jacobi, professeur en sciences de l’information et de la communication, l’avait accompagné dans son travail.

Homme de partage, Juan Camilo échangeait volontiers son expérience culturelle colombienne avec les collègues de sa promotion. Il avait acquis un véritable savoir-faire international qu’il a mis en pratique tout au long de sa vie professionnelle. A son retour en Colombie il avait travaillé plusieurs années au centre d’art de Banco de la República/Biblioteca Luis Angel Arrango, à Bogotá. Là, avec sa collègue russe de la session précédente, Katia Selezneva-Nikitch, chargée des relations internationales à la Galerie Tretiakov de Moscou, il avait créé de fructueux partenariats et monté deux expositions qui avaient voyagé de Moscou à Bogotá. La première, en 1999 : Pioneros del arte moderno/Arte ruso y soviético, 1900-1930. La seconde, en 2002 : 500 Años de Arte Ruso/Iconos de la Galería Tretyakof de Moscú. Un exploit que de réussir à faire venir en Colombie ce patrimoine russe !

Ouvert et généreux, compétent et inventif, Juan Camilo était directeur du Salon du Livre de Cali/ Feria del Libro de Cali qu’il avait créé en partenariat avec la Mairie de Cali et la Fundación Spiwak, en 2016, et dans laquelle l’Université de Valle del Cauca, était partie prenante. Un vibrant hommage vient de lui être rendu par le Réseau des Salons du Livre de Colombie qu’il avait fondé, la Chambre colombienne du Livre et le Ministère colombien de la Culture. Ses collègues de Colombie, d’Espagne et du Mexique, tous, ont mis en exergue son immense professionnalisme et son éthique, son intelligence vive et sa dynamique, sa générosité et sa bienveillance attentive.

Juan Camilo Sierra, Juan Cam comme certains le nommaient, était une personne et une personnalité fascinante, d’une élégante profondeur et richesse. Par son impressionnant travail et son expérience sédimentée il a beaucoup apporté à l’écosystème, si fragile, qu’est le domaine culturel, et a ouvert de grands espaces pour le livre et pour la culture, tous le reconnaissent. Il avait une vision culturelle et de nombreuses ressources, il avait la foi en ce qu’il faisait. Par son don pour le travail en réseau, il laisse son empreinte, comme au centre culturel Gabriel Garcia Márquez de Bogotá au cœur de La Candelaria où se trouve le siège de la maison d’éditions mexicaine Fonds de Culture Économique qu’il a longtemps fréquentée.

Son sourire communicatif, son enthousiasme, sa discrétion et son attention aux autres vont manquer dans le paysage culturel. De Paris jusqu’à Bogotá et Cali, d’Europe à l’Amérique Latine, nous nous joignons à la tristesse de ses proches, famille, amis et collègues et transmettons toute notre amitié. Précieusement, nous le gardons dans nos mémoires.

« Mais avant d’arriver au vers final, il avait déjà compris qu’il ne sortirait jamais de cette chambre car il était dit que la cité des miroirs (ou des mirages) serait rasée par le vent et bannie de la mémoire des hommes à l’instant où Aureliano Babilonia achèverait de déchiffrer les parchemins, et que tout ce qui y était écrit demeurait depuis toujours et resterait à jamais irrépétible, car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n’était pas donné sur terre de seconde chance. » (Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Márquez).

Brigitte Rémer, le 15 octobre 2020